V comme… Violettes de Verre

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L’objet du jour est un survivant. Comme tous les autres, il a courageusement résisté au désintérêt et au temps, ce qui n’était pas acquis vu sa particulière fragilité. Mais surtout, il a réchappé chez moi à l’écroulement d’un haut de buffet avec bris en mille morceaux de toute la verrerie qu’il contenait.

J’avoue que ce jour-là, voir le pot à biscuit de mémère Georgette et ses jolies violettes miraculeusement intacts au milieu des débris m’a fait oublier tout le reste de la casse.

Violettes de verre

Curieusement, alors qu’elles n’ont jamais été chiches en anecdotes sur leurs grands-parents, leurs oncles et même leur propre vie, mes grands-tantes n’ont jamais évoqué avec moi l’itinéraire de leurs parents avant qu’elles ne viennent au monde. Est-ce une constante, chez les enfants, de ne s’intéresser à leurs parents que dans cette fonction ? Car je me rends compte que bien qu’ayant beaucoup et librement parlé avec les miens, je serais toujours dans le flou sur la manière dont s’est formé leur couple si je n’avais pas recueilli leur correspondance de l’époque.

Toujours est-il que je n’ai aucune information sur la rencontre de Georgette et de Maurice. Mais comme leurs deux familles vivaient à Creil, à peine à une centaine de mètres l’une de l’autre, je crois pouvoir en déduire sans guère d’incertitude qu’il s’agit d’un rapprochement de voisinage. Ils n’avaient qu’un coin de rue à tourner pour se conter fleurette.

Plan de Creil levé en 1895 par Portemer – Archives municipales de Creil

Georgette est orpheline très tôt puisqu’elle perd sa mère alors qu’elle n’a que neuf ans et son père l’année suivante. Heureusement, un réseau de solidarités familiales se met en place autour de la fillette. Elle est entourée à la fois par ses grands-parents maternels, chez qui elle vit, et la famille de sa grand-tante maternelle dont le mari devient son tuteur attentif. Elle a dix-huit ans au moment où elle arrive au mariage.

Maurice a vingt ans et exerce déjà le métier de comptable qu’il gardera toute sa vie. Il habite chez ses parents, Juliette et Eugène, au-dessus du commerce de mercerie que tient sa mère.

À huit heures du matin, le jour même du mariage, les voilà tous deux chez le notaire, accompagnés des parents de Maurice et des grands-parents de Georgette. Juliette et Eugène dotent leur fils de 1 700 francs en bon argent et lui donnent de quoi équiper le ménage pour une valeur de 500 francs. Pour ne pas faire de jaloux, c’est à la même somme qu’est évalué le mobilier de Georgette. Le reste de son apport résulte de la succession de ses parents : 535 francs en liquide et un terrain de 700 mètres carrés sur la commune voisine de Nogent-les-Vierges.

La minute du contrat aux Archives départementales de l’Oise 2 E 79/71 et sa copie dans les archives familiales

J’ai retrouvé un exemplaire de leur contrat de mariage dans les papiers de famille. C’est l’occasion de constater que le copiste s’est bien davantage appliqué sur le document remis aux clients que le clerc ne l’a fait sur la minute versée aux archives. Et d’ailleurs, il a beaucoup moins pleuré le papier : quatre pages pour la minute, douze pages pour la copie ! Mais il semble que la pratique était courante et avait pour but de compresser au maximum les archives conservées par le notaire.

Ce contrat est, dans les archives familiales, le seul document restant de l’évènement auquel manifestement on ne convia point le photographe. Car si ça avait été le cas, mes grands-tantes en auraient à coup sûr conservé une trace dans leur album. Cependant, j’ai tout de même une image du jeune couple assistant à un mariage que je n’ai pas encore identifié avec certitude mais que je soupçonne d’avoir été extrêmement proche du leur, probablement dans la famille Dhersignerie, celle du tuteur de Georgette.

Je ne vais toutefois pas m’en plaindre puisque sont parvenus jusqu’à moi leur extraordinaire médaille de mariage avec l’alliance de Georgette et ce délicat pot à biscuits.

La seule anecdote qui ait subsisté de leurs noces dans l’histoire orale de la famille concerne justement ce pot de verre émaillé, dont il se dit qu’il leur fut offert rempli de biscuits de Reims. Comme quoi ce ne sont pas toujours les informations essentielles qui parviennent aux générations suivantes !

J’aime ces signaux envoyés par le hasard à travers le temps et l’espace. Car lorsque trois décennies après son mariage, Georgette tenait dans ses bras son petit-fils nouveau-né, pouvait-elle deviner que ce petit Pierrot partirait plus tard faire sa vie précisément à Reims pour y semer leur descendance ?

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