W comme… la WW1 de Maurice

Aujourd’hui à la une

Le parcours militaire de Maurice commence sur un faux départ. Il a eu vingt ans en novembre 1902 et le conseil de révision qui l’examine un mois plus tard l’exempte du service pour cause de tuberculose pulmonaire.

Responsable à l’époque d’un décès sur sept en Europe, cette maladie est un enjeu majeur en matière de santé publique. Koch a mis en évidence le bacille tuberculeux vingt ans auparavant mais les expérimentations sur les moyens de l’éradiquer sont encore embryonnaires. Les politiques de prévention, de détection et de soin de la tuberculose restent à bâtir et ne prendront véritablement leur essor qu’après la première guerre mondiale.

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Affiche du comité central d’assistance aux militaires tuberculeux, 1916 – BHVP

En ce début de XXe siècle, le mode de propagation de la maladie reste encore un mystère. Évidemment, les militaires ne sont pas pressés d’intégrer parmi eux les jeunes gens qui en sont atteints.

Maurice réchappe à la maladie et va très bientôt épouser Georgette. Cependant l’Histoire est sur ses talons et ne tardera pas à le rattraper…

Il n’est pas appelé immédiatement lors de la mobilisation générale d’août 1914 ; mais comme il faut très vite puiser dans le vivier de l’arrière pour remplacer les morts du front, un second conseil de révision le déclare cette fois bon pour le service en décembre. Le répit n’aura été que de quelques mois, il part pour la guerre en février 1915.

Trois ans devant Verdun

Dès lors, Georgette et lui vont connaître les affres de tous les amoureux séparés par les conflits. Tout le temps de son absence, elle portera sur son cœur ce dérisoire médaillon d’étain contenant la photo de son mari.

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Georgette et Maurice sont séparés depuis trois semaines…

Après une affectation qui le maintient dans un premier temps éloigné du front, Maurice rejoint le 8e Régiment d’Artillerie à Pied en mars 1916. La longue bataille de Verdun vient de commencer, elle est meurtrière et là encore, il faut sans cesse renouveler les soldats tombés en terre de Meuse. Elle va durer toute l’année 1916 et engloutir toujours plus de vies.

C’est un véritable carnage qui fera, de part et d’autre, des centaines de milliers de mort, des centaines de milliers de blessés dont beaucoup resteront invalides. Pour un résultat militaire inchangé sur le terrain : cet invraisemblable gâchis humain, considéré comme une victoire pour la France, lui aura tout juste permis de préserver des positions convoitées par l’Allemagne.

Paysage d’hiver près de Verdun – Bibliothèque du Congrès

Au début du mois de juin 1916, Maurice est évacué une première fois sur l’hôpital de Vitry-le-François, sans que la cause n’en soit précisée sur son feuillet matricule. Le registre des entrants dans l’établissement indique seulement algie comme motif à cette hospitalisation, ce qui est bien vague.

Il reste hospitalisé tout un mois mais dès la mi-juillet, il réintègre la 34e batterie dans la forêt de Hesse, à l’ouest de Verdun. Retour vers l’enfer des tranchées et de la mort de masse, sous les obus et le gaz toxique…

Cette première bataille de Verdun prend factuellement fin au bout de dix mois, le 18 décembre 1916. La région reste toutefois le théâtre d’une guerre de position et la 34e batterie y sera maintenue encore deux ans pour la défendre, au ravin des Trois Cornes, au fort de Tavannes et aux carrières d’Hautremont.

Son journal de marche est particulièrement laconique pour cette année 1917, se bornant la plupart du temps à comptabiliser les tirs de harcèlement, le nombre d’obus de 95 ou de 155 balancés dans la nature, les opérations de réglage des mitrailleuses. À peine davantage au 20 août où la France lance une offensive massive, qualifiée depuis de seconde bataille de Verdun.

Journal de marche et des opérations de la 34ème batterie – Mémoire des Hommes

Il y est tout de même reporté, le 13 octobre, la citation de la batterie à l’ordre du XVe Corps d’Armée, dans des termes qui en disent long sur l’incessant harcèlement subi par ses soldats : a exécuté avec brio durant de longs mois dans une position difficile, battue constamment par les feux de l’ennemi, tous les tirs délicats qui lui ont été demandés de jour et de nuit pour la défense du secteur. A rempli lors des attaques du 20 août 1917, à l’entière satisfaction de l’Infanterie, les missions de destruction qui lui ont été confiées.

Mais entretemps, le 26 septembre 1917, Maurice est intoxiqué par les gaz en compagnie de treize de ses camarades, ce qui lui vaudra la citation accompagnant sa médaille militaire accordée bien plus tard, en 1933.

Journal Officiel du 22 mars 1933, journal de marche de la 34ème batterie, feuillet matricule : trois sources pour un évènement

Il est hospitalisé jusqu’au 13 novembre puis une fois de plus renvoyé en première ligne, pour être confronté à nouveau à la même vie, à la même mort rodant autour de la 34e batterie. Les tirs de harcèlement jalonnent toujours la vie des troupes, les brûlures à l’ypérite continuent de se succéder avec les évacuations qui s’en suivent.

C’est au 31 décembre 1917 seulement que faisant le bilan des seize citations jusque là obtenues par les hommes de l’unité, le journal de marche nous apprend que le brigadier Lenoir a été cité un an auparavant. À la suite de quelle action ? Son feuillet matricule est muet sur cet épisode.

Journal de marche et des opérations de la 34ème batterie – Mémoire des Hommes

En 1918, un malheur s’ajoutant aux autres, le fléau de la grippe s’abat sur le front comme sur le reste du monde. Le journal de marche mentionne un tiers des hommes atteints au mois de mars ; les hommes sont très fatigués lâche le rédacteur dans une des rares notes un peu plus personnelle. Les évacuations reprennent de plus belle en octobre, en même temps que les annonces des morts à l’hôpital parviennent jusqu’à l’unité.

Ainsi passe encore l’année 1918. Maurice est sur le front depuis trente-deux mois lorsque l’armistice est enfin signé. Le 16 novembre, sa batterie est dissoute et intégrée au 153e régiment d’artillerie à pied. Il est démobilisé au début du mois de mars 1919, dans le mouvement général qui organise le renvoi des troupes à la maison.

Après la guerre

Maurice a donc obtenu la médaille militaire pour l’épisode de septembre 1917, bien tardivement, quinze ans après la fin de la guerre. Il a religieusement conservé son brevet avec ses décorations ; et la famille en a fait de même après lui.

Je trouve toujours déchirante la mise en parallèle de tant d’années de souffrance vécues de part et d’autre du front avec les quelques médailles dont tous ces hommes ont pris grand soin, ne se révoltant pas, le plus souvent, contre les gouvernements qui les avaient jetés dans la tourmente. Peut-être, pour ne pas devenir fous, était-il vital pour eux d’adhérer au grand dogme du combat pour la liberté et la défense de la Nation…

Malheureusement, Maurice ne ramenait pas seulement des médailles de ses trente-deux mois dans la Meuse. Le gaz toxique passant sur ses poumons déjà touchés par les séquelles de la tuberculose devait lui laisser une incapacité durable. Les commissions de réforme successives augmentèrent peu à peu son taux d’invalidité jusqu’à une consolidation à 80 % en 1931.

Après la guerre, il resta engagé dans le monde associatif des anciens combattants, notamment dans l’Amicale des Anciens Poilus du XIVe. Il assura également le rôle d’administrateur de la Société de Secours Mutuels et de Retraite des Anciens Combattant et Victime de Guerre de l’Union Fédérale. C’est à ce dernier titre que la médaille du Mérite Social lui fut décernée en 1938.

Mais il faut croire qu’on n’entend jamais assez les anciens combattants et tout ce que leur parcours dit des horreurs de la guerre. Les rancœurs n’étaient pas soldées et vingt ans à peine avaient passé depuis la der des der, si mal nommée, quand l’Europe fut à nouveau plongée dans la terreur.

Maurice n’en continua pas moins de contribuer inlassablement à maintenir la mémoire de ses anciens compagnons d’arme. En témoignent encore ces photos, prises sous l’Arc de Triomphe quelques années avant sa mort en 1954, de lui ranimant la flamme du souvenir ou portant le drapeau. Comme mon grand-père maternel, il n’en parlait jamais en famille mais je pense à eux, condamnés à passer le reste de leur vie hantés par le souvenir de cet enfer.

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