F comme… la Famille et ses livrets providentiels

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Les communes françaises ont longtemps cru leur état civil en sécurité avec la garantie des registres en deux exemplaires stockés l’un en mairie et l’autre au greffe du tribunal. L’histoire se chargea de rabattre leur optimisme.

Le 23 mai 1871, le feu détruit l’annexe de l’Hôtel de Ville de Paris contenant les registres originaux de l’état civil. Le lendemain, c’est le Palais de Justice et le deuxième exemplaire de ces précieux registres qui sont à leur tour la proie des flammes. Et voilà comment, en quarante-huit heures, toute l’histoire des familles parisiennes partit en fumée.

Suite à cette catastrophe, le Préfet de la Seine prend l’initiative de créer le livret de famille avec l’idée de constituer une garantie supplémentaire : il serait en quelque sorte un troisième exemplaire de l’état civil à la garde des familles. D’abord limitée à la capitale, la mesure ne tarde pas à convaincre le gouvernement qui entend la généraliser à l’ensemble du pays.

En 1877, le ministre de l’Intérieur se lance donc dans une opération charme auprès les maires de France, en passant par l’intermédiaire des préfets : il verrait avec plaisir que les communes de France emboitent le pas de la capitale et remettent gratuitement un livret de famille aux nouveaux époux. Évidemment, en y mettant tant de formes, le succès est plus que mitigé ; deux ans plus tard, le livret de famille est en usage dans seulement soixante-six départements et encore… dans ceux-là, bien moins d’un tiers des communes l’ont adopté.

Il faut bien passer à la vitesse supérieure. En 1884, la loi sur l’organisation municipale range les frais de délivrance des livrets de famille dans la liste des dépenses obligatoires pour les communes. C’est donc à partir de ce moment que les nouveaux couples doivent se le voir systématiquement remettre.

J’ai la chance, du côté paternel, d’avoir pu réunir quatre générations de livrets de famille à partir de mes parents, ce qui fait remonter le plus ancien jusqu’à la date de création de ce document, avant même que la loi n’ait imposé sa délivrance.

Quatre générations de livrets Lenoir

En ces temps d’archives numériques, il y a une émotion particulière à détenir ainsi des archives familiales originales, surtout avec une telle continuité. Mais elles ont aussi beaucoup d’intérêt pour la recherche généalogique.

Évidemment, les actes eux-mêmes sont plus complets ; seules leurs mentions principales sont reportées dans le livret. Mais il permet tout de même de vérifier qu’on n’a raté aucune naissance dans un couple, notamment pour les enfants morts en bas âge. Quand on connait le taux d’erreur dans la confection des tables décennales, c’est déjà un plus appréciable.

Surtout on y trouve ces décès qui sont parfois si difficiles à identifier dans la première partie du XXe siècle. Ça s’arrange après l’ordonnance du 29 mars 1945 et l’obligation de les inscrire en mention marginale sur les actes de naissance, pour peu que le report n’ait pas été oublié. Et depuis quelques temps, nous bénéficions d’une nouvelle ressource avec la publication des décès postérieurs à 1969 par l’INSEE. Mais la période 1880-1945 reste un peu un tunnel que le livret peut éclairer.

Le seul bémol est que si les communes ont l’obligation de leur remettre leur livret, en revanche les familles n’ont pas formellement celle de le faire compléter, le code civil prévoyant simplement que la conservation du livret est assurée par les époux ou les parents auxquels incombe le soin de le faire tenir à jour. Mais pour ce que j’ai pu en constater, elles sont très attachées à ce qu’il soit rempli, quitte à bricoler elles-mêmes pour reporter l’information.

Les trois mentions de décès reportées par Mère Lise

C’est ce que fit Mère Lise en trois occasions, de façon si touchante, avec sa graphie approximative : pour le décès de son mari à Montbéliard en 1924 et celui de ses deux garçons, Alphonse en Cilicie en 1919 et Georges à Paris en 1951. Ce n’est guère académique, pas tout à fait juste pour Alphonse (qu’a-t-elle compris de ce drame, notre pauvre Mère Lise ? Qui lui a expliqué dans quel triste bourbier la France avait envoyé son fils à la mort ?), les tampons officiels de l’état civil n’y sont pas, elle a bien peiné mais elle a quand même voulu que son livret soit complet.

Mon cœur se serre à chaque fois que je l’imagine y ajouter ces décès de son écriture hésitante…

En suivant ma branche agnatique et en passant de Lenoir en Lenoir, mon livret le plus ancien est celui de mes arrière-arrière-grands-parents, Juliette et d’Eugène, mariés à l’automne 1880.

Le livret de famille de nos arrière-arrière-grands-parents, Juliette et Eugène

Il est tout dépenaillé, c’est Juliette probablement qui l’a rafistolé avec un fil de lin en recousant tant bien que mal sa reliure. Elle l’a renforcé avec des papiers de réemploi porteurs eux-mêmes d’informations : ils m’ont appris qu’Eugène était à la fois agent d’assurance pour la Prévoyance et correspondant local du Didot-Bottin.

Ce livret me fournit opportunément la date du décès de Juliette à Creil, en août 1940, puis d’Eugène au Kremlin-Bicêtre en janvier 1945. J’y apprends aussi l’existence de leur deuxième enfant qui n’a vécu que dix-huit mois. En revanche, ils n’ont pas eu le cœur d’y faire reporter la mort de celui de leur fils qui s’est suicidé en 1934…

Le livret de famille de nos arrière-grands-parents, Georgette et Maurice

Vingt-trois ans après, en 1903, c’est leur aîné Maurice et sa nouvelle épouse Georgette qui reçoivent à leur tour leur livret de famille à Creil. Celui-ci est bien joliment enjolivé par des chérubins sur la couverture et une branche fleurie qui court tout autour de l’avis important expliquant aux jeunes mariés tout l’intérêt de le faire remplir avec sérieux.

Je pensais tout savoir de ce couple-là puisque Georgette et Maurice sont les parents de nos marraines, Mauricette et Huguette, et que j’ai encore beaucoup de souvenirs de mon arrière-grand-mère Georgette. Pourtant sans le livret de famille, je serais passée à côté de la petite sœur mort-née pendant la première guerre mondiale et dont je n’avais jamais entendu parler.

Le livret de famille de nos grands-parents, Jeannette et Roland

Puis vient le livret de mes grands-parents, Jeanne et Roland, mariés en 1932. Pour le coup, celui-là est plein de trous mais c’est lié à leur vie matrimoniale accidentée : la mort de Mamie Jeannette, en 2000, a été reportée sur le livret de son second mariage que je ne connais que par photocopies. Quant au décès de Roland en 1958, probablement en fut-il de même dans le livret de son troisième et dernier couple.

Mais il me réservait tout de même une petite surprise : le certificat de baptême de Papa, l’unique enfant né de cette union-là, était glissé entre la page de garde du livret et la couverture en papier kraft ajoutée pour le garder bien propre.

Les petits bonus des livrets de famille

C’est aussi de cette manière que j’ai découvert, dans le livret de Mère Lise, la dispense épiscopale accordée en 1898, à elle la catholique qui épousait un protestant. Il faut toujours regarder ce qui peut se cacher sous les couvertures protégeant soigneusement beaucoup de nos livrets de famille !

1880, 1903, 1932, 1957, cette série Lenoir continue se clôt sur le livret de mes parents Ginette et Pierre, le fils de Jeanne et Roland, le petit-fils de Georgette et Maurice, l’arrière-petit-fils de Juliette et Eugène…

Le livret de famille de nos parents, Ginette et Pierre

Aucune surprise pour moi dans ce livret, bien sûr ;-)) Je l’ai fait scrupuleusement remplir chaque fois qu’il l’a fallu ; désormais la seule date qui n’y est pas encore me concerne.

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