E comme… l’Équerre de Philippe

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Il m’a fallu longtemps pour revenir avec plaisir sur les souvenirs des années où nous étions indissociablement quatre, dans une bulle où les enfants n’avaient d’autre souci que celui d’être des enfants puisque les parents nous protégeaient de tout. C’était surtout le temps des jours parfaits où j’avais un frère.

Ce rêveur qui ne détestait rien tant que les contingences matérielles n’était pas fait pour s’accommoder des contraintes de l’école. Il se propulsa jusqu’au sacro-saint bac à coups de pied au derrière, n’assurant que le strict minimum pour se tenir la tête hors de l’eau. Tout ceci était tellement ennuyeux…

Philippe Lenoir
L’été à Ampolla en 1964 et 1965

J’étais l’élève appliquée assez peste pour se rengorger de ses bonnes notes et lui le touriste scolaire qu’un simple rayon de soleil entrainait sur les chemins du rêve. Longtemps ma mère a désespéré de ne pouvoir lui faire mettre le nez dans autre chose que ses fichues BD, ce qui ne comptait évidemment pas pour de la vraie lecture.

Les mots doux du prince des charmeurs

C’est pourtant ce gobeur de mouches qui, une fois l’adolescence bien entamée, pouvait pendant des nuits entières se plonger avec passion aussi bien dans Le Capital que dans Le Coran ou Le voyage à Ixtlan. Parce que ces livres-là lui disaient de la vie quelque chose qu’il avait enfin envie d’apprendre…

Mais c’était une vie bien avaricieuse et elle n’avait que quarante années à nous offrir. À la mort de mon frère, j’ai choisi deux objets à conserver en souvenir dont cette équerre recouverte de formules cabalistiques qui illustre son dilettantisme et un détachement brillant que je n’avais cessé de lui envier. Et surtout elle me rappelle les fous rires piqués ensemble en imaginant les dispositifs de triche aux examens les plus alambiqués… et bien sûr les moins réalisables possible.

Equerre

J’ai aussi gardé de lui un objet plus classiquement précieux, le Mont Blanc qu’il a choisi quand nos parents ont voulu nous offrir un stylo pour la vie. Mais si je devais n’en retenir qu’un, ce serait encore l’équerre de mon poète.

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