G comme… Glycines parisiennes

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À dix-neuf ans, je quittais Reims pour m’en aller étudier le russe en Sorbonne. Comme c’était déjà un luxe pour mes parents de m’entretenir à Paris, je m’étais casée dans une chambre de bonne du 12e arrondissement, à deux pas de Daumesnil. Elle avait tout ce qu’on imagine d’un perchoir dans les immeubles haussmanniens : les six étages sans ascenseur, les toilettes à la turque sur le palier, le vasistas en soupente et une scandaleuse étroitesse.

C’est bien simple, elle ne devait pas atteindre les 8 m². Elle ne pouvait contenir qu’un lit de 70 de large (oui, ça existe !) qui me servait à tout : cuisiner, étudier, travailler, dormir et surtout, rêvasser en regardant les nuages par mon vasistas. J’avais malgré tout la chance d’y avoir un évier, dans un recoin que mon bricolo de père avait aménagé en une astucieuse micro kitchenette.

L’étage des vasistas – Photos @toits_de_paris

Cette mansarde était mon royaume et j’ai adoré les deux ans passés dans cet endroit, en 1977 et 1978. J’étais dans mon premier chez-moi, je vivais à Paris ! Au demeurant, ma survie était très organisée : je rentrais tous les week-ends chez mes parents et chaque mardi soir, pour couper la semaine, je m’en allais passer la nuit dans le 15e, chez mes grands-tantes.

Les mardis soir rue Rosenwald

En 1975, on les avait expulsées de leur appartement de la rue Francis, prétextant l’insalubrité de l’immeuble qui devait être détruit. Il s’agissait surtout de se débarrasser des derniers occupants à loyer bloqué, trop peu rentables dans ce quartier Pernety en voie de gentrification accélérée. Comme beaucoup d’autres dans Paris, il en vint à ne plus rien avoir de populaire.

Les deux sœurs achetèrent ensemble un petit deux-pièces juste de l’autre côté de la voie ferrée, changeant ainsi d’arrondissement mais restant proches de leur environnement familier. Avec en prime un confort tout nouveau : des toilettes rien qu’à elles au lieu d’avoir à descendre au demi-étage, et une vraie salle de bains alors que l’évier de la cuisine avait jusque là été leur unique point d’eau.

Cet appartement tout neuf était cependant à l’aune des moyens dont elles disposaient pour conserver le privilège de vivre en Parisiennes : minuscule. Mauricette, l’aînée, dormait dans un petit lit installé dans le séjour et customisé en divan dans la journée. Huguette, qui se levait toujours chaque matin à 6h20 tapantes pour aller travailler du côté de Puteaux, occupait l’unique chambrette dans laquelle on trouvait encore le moyen d’ouvrir un lit pliant quand je prenais mes quartiers chez elles.

Je n’aurais raté pour rien au monde le rituel hebdomadaire de venir me faire gâter chez mes tatas poudre de riz. Et d’y dévorer le steak d’une demi-livre qui m’y attendait invariablement parce que les jeunes sans le sou, hein, on sait bien comment vous vous nourrissez.

glycines

Le café héritage

Mais mon plus grand plaisir arrivait au moment du café, qu’elles ne manquaient jamais de me servir dans une tasse en porcelaine translucide. J’adorais ce service sans marque de fabrique, très daté Napoléon III mais dont je ne sais comment il est arrivé dans la famille : comme toujours, on ne pose jamais assez de questions quand il est encore temps. Cependant comme il était chez mes grands-tantes, je suppose qu’il vient de chez leurs grands-parents, Juliette et Eugène.

La blague était toujours la même : et un petit café héritage pour Mademoiselle ! Car il était entendu que ce délicieux service aux glycines serait mien le moment venu.

Mauricette nous a quittées en 2005, à la veille d’atteindre ses quatre-vingt-dix-neuf ans. L’année dernière, il a fallu faire le nécessaire pour installer Huguette, qui ne pouvait malheureusement plus vivre seule chez elle, en maison de retraite. Au moment de retirer de l’appartement tout ce qui était personnel pour le mettre en vente, j’ai récupéré bien sûr photos et papiers de famille mais surtout, le service aux glycines toujours au grand complet malgré sa fragilité.

À chaque fois que je me trouve un peu à l’étroit dans mon appartement d’aujourd’hui, je me sers un petit café héritage en repensant à ma chambre de bonne parisienne qui contenait tous mes rêves et était tout ce dont j’avais besoin…en repensant au petit appartement de la rue Rosenwald dans lequel nous nous tassions à trois avec tant de bonheur… Je me dis que je suis bien chanceuse d’avoir malgré tout mes aises et surtout, que la douceur du cocon n’a rien à voir avec sa superficie !

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