J’ai déjà parlé ici de la naissance de ma grand-tante Mauricette et de l’environnement familial qui, un demi-siècle plus tard, fit d’elle ma marraine. Le 23 novembre 1958, elle me tenait dans ses bras à la sortie de l’église Saint-Jacques de Reims, toute fiérote de cette filleule que lui avait donnée son neveu adoré.
Nous avons toujours été très proches de nos deux marraines qui ont quasiment tenu dans notre vie le rôle de grands-mères, se substituant ainsi à leur frère disparu prématurément. Il fut favorisé par la différence d’âge bien sûr. À cela s’ajoute le fait que nous n’avons jamais été très complices de notre grand-mère paternelle et que nous avons perdu très tôt notre grand-mère maternelle.
La place était donc à prendre ; Mauricette et Huguette l’occupèrent avec tendresse, toujours heureuses de nous avoir chez elles à Paris ou de venir nous voir à Reims. Nos tatas marraines ne rataient jamais une occasion de nous chouchouter, comme elles le firent plus tard pendant mes trois années d’études dans la capitale.
J’ai donc un amour particulier pour les objets qui me restent de Mauricette, disparue il y a presque vingt ans, comme cette croix de nacre qu’elle portait à sa communion solennelle.
La communion
Ma marraine était croyante mais sans bigoterie excessive. Par exemple je sais qu’elle fréquentait assidûment la messe mais elle ne réclamait jamais d’y assister lorsqu’elle était chez nous qui n’avions pas ce genre de coutume.
D’ailleurs elle n’évoquait pas spécialement la religion sauf en de rares occasions plutôt anecdotiques. Après ma réussite au bac, elle m’avoua malicieusement avoir pris la précaution (ça ne pouvait pas nuire !) de monter jusqu’au boulevard Clichy pour y allumer un cierge à Sainte-Rita… la sainte des causes désespérées ;-))
Dans le même registre, je conserve aussi d’elle un missel frappé à ses initiales dont je ne sais à quelle occasion elle l’a reçu. Il contient de très jolies gravures rehaussées d’or, protégées par un papier cellophane, mais aucune indication sur sa date d’édition. En tout cas, ce n’est pas le missel blanc, probablement habillé de celluloïd, qu’elle avait en main sur ses photos de communiante.
Quand elle commença à se déplacer moins facilement, car avec l’âge elle était de plus en plus tracassée par un pied tordu qui lui était resté de sa venue au monde, je n’oubliais jamais d’allumer à mon tour un lumignon dans les églises où m’emmenaient mes pérégrinations. J’en profitais pour lui envoyer une carte postale et l’informer qu’elle avait une petite bougie en son nom à l’église de Bethléem, sous les ex-voto de Notre-Dame-de-la-Garde ou bien dans la chapelle d’un monastère moscovite oublié.
En bonne mécréante, j’avais évidemment du mal à faire le tri entre les différentes croyances chrétiennes mais elle ne s’en offusquait pas et se déclarait toujours ravie de mes petites attentions.
L’apprentie
Si Mauricette fait encore sa communion à Creil, la famille Lenoir devait bientôt quitter l’Oise pour s’installer à Paris où Maurice occupait déjà son emploi au Crédit du Nord, contraint à faire chaque jour le voyage. Le 31 juillet 1919, c’est dans la capitale qu’elle obtient son certificat d’études primaires alors qu’elle allait fêter ses treize ans le mois suivant.
Elle poursuit sa scolarité au cours complémentaire mais deux ans après, quand la directrice de son école annonce qu’une modiste cherche une apprentie, elle ne laisse pas passer cette aubaine. Elle y voit l’occasion d’apprendre un métier et surtout, de commencer à gagner sa vie pour apporter sa contribution aux revenus de la famille.
L’atelier se trouve rue d’Alger, à deux pas des Tuileries. J’imagine que lorsque le beau temps était de la partie, Mauricette faisait comme ces midinettes d’avant-guerre et cassait la croûte en plein air, dans le jardin tout proche.
Elle a eu la chance d’apprendre le métier chez Marie Delporte, que j’ai toujours entendu décrire comme une gentille patronne ; celle qui, lorsqu’elle arriva au moment de prendre sa retraite, offrit une bague garnie de tout petits diamants à chacune de ses employées.
Mais l’objet qui me reste de cette époque est un éventail de plumes bleues que Mauricette rapporta aussi de l’atelier Delporte. Depuis, elle l’a toujours conservé dans une jolie boîte marquetée qui semble fait exprès pour lui. Eut-elle l’occasion de minauder derrière cet éventail ? J’ai quelques doutes à ce sujet car il ne me semble pas que les deux sœurs était tellement portées à la frivolité, mais j’espère que je me trompe !
Quand Marie Delporte cessa son activité, Mauricette continua à fabriquer des chapeaux, comme elle devait le faire toute sa vie, mais elle se mit à son compte et travailla à la maison. Lors de l’évacuation à Sablé-sur-Sarthe en 1939, avec sa mère et sa sœur, elle alla sur place se présenter à Simone Pergon, la modiste locale.
La modiste
Ce fut pour elle le début d’une nouvelle amitié professionnelle. Car elle resta toujours en relation avec Simone, qui était originaire de Sablé mais avait également un atelier à Paris où elle tenait sa clientèle parmi la haute société. Et grâce à elle, Mauricette ne manqua jamais d’ouvrage quand elle fut de retour à la maison, même pendant la guerre. « Toutes des de quelque chose, et ça défilait chez nous pour se faire transformer ses vieux habits en chapeaux, à cause des restrictions. »
Ça m’amuse d’imaginer ces va-et-vient huppés, moi qui ai connu le fort modeste appartement de la rue Francis où chaque pas faisait trembler le plancher et où il fallait descendre aux toilettes communes au demi-étage.
En 1975, au moment du déménagement vers un logement plus moderne, toutes les belles têtes à chapeau en bois et les fournitures fines partirent à la benne. Mauricette, désormais à la retraite, ne garda que le minimum pour tourner les quelques chapeaux qu’elle fabriquait encore à ses proches.
J’étais adolescente et tellement loin de m’intéresser à tout ça à l’époque ! Et aujourd’hui je pleure ces vieilleries disparues. Du métier de modiste de ma tata-marraine, il me reste bien peu de choses : cette forme en tulle rigide sur laquelle elle tournait ses éternels turbans car elle sortait rarement en cheveux ; et cette tête en métal qui lui servit encore pour mouler une grande capeline en feutre chocolat pour ma mère, à l’occasion d’un mariage.
Bien loin des merveilleuses têtes en bois que j’aurais adoré aligner sur mon haut d’armoire… mais j’y tiens tout de même comme à la prunelle de mes yeux !
19 commentaires sur “M comme… Mauricette, son missel et son éventail”
Hooo quelle jolie lecture…merci…
Bonsoir Sylvaine
La suite de l’histoire de ta tata-marraine Mauricette. L’évocation de sa carrière, et de sa vie . Ma Maman aurait aimé faire des chapeaux, mais le destin en a voulu autrement, et elle a fait son apprentissage dans la confection des pantalons et surtout des culottes de cheval . Elle en avait une sainte horreur . D’ailleurs, elle n’a jamais exercé dans cette profession. Ma Maman a confectionné la capeline de ma sœur pour son mariage . Elle était très douée , et la capeline fort réussie. Merci de ce nouvel article toujours aussi intéressant. Bonne soirée. Gros bisous.
J’ai toujours trouvé tellement mystérieuse cette aptitude à fabriquer des chapeaux ! Ils étaient vraiment magnifiques…
Quelle jolie famille! Quel bel héritage! Quelle tendre émotion encore… Pour moi, c’est Madeleine… 🙂
Alors chez nous, des deux côtés, ces dames sont très en « ette », une marque de l’époque, sans doute ? Mes deux grands-tantes, mes deux grands-mères paternelles, ma mère et ses quatre sœurs, tous les prénoms se finissent ainsi !
Moi, c’était mon arrière GM paternelle qui était « plongée » dans la religion jusqu’à la racine de ses cheveux et qui, à la différence de ta « Tata-Marraine », insistait sèchement que nous nous agenouillons à la maison le soir pour faire nos prières avec elle…prenant avec autorité ma petite main de 8-9 ans pour faire le signe de croix sur moi…le seul et unique souvenir bien sévère que j’ai de ses rares visites en Anjou–elle habitait Bois-Colombes près de Paris–et qui est décédée alors que je n’avais que 10 ans.
Au passage, je note que ta marraine est né à une semaine d’intervalle de mon GP René…😊 et que son éventail bleu est magnifique!
Et maintenant je comprends pourquoi je n’ai jamais vu mon autre arrière GM paternelle, qui était elle aussi modiste dans ses jeunes années, « en cheveux » (une expression que je découvre avec toi), qui porte un « filet » sur toutes nos photos contemporaines…elle est issue d’une très longue lignée de marchands ambulants descendus de leur montagne savoyarde à la fin du XVIIIème pour silloner les routes de France et de Navarre (et de Suisse) en quête d’une meilleure fortune. Le père de cette GM s’était reconverti en marchand de chapeaux en 1880 à Grandvillars dans le 90, se départissant de son héritage de marchands de verres et de bouteilles initialement, passés par la poterie et la faïence pour finir par la quicaillerie et petite mercerie.
Le seul souvenir que j’ai, dans ce genre, c’est le curé qui nous préparait à notre communion et qui nous foutait bien les jetons. Quel méchant homme c’était ! Mais sinon, dans la famille, je n’ai jamais été embêtée avec ces histoires de religion et ma marraine, c’était un sucre d’orge 😉
Un tendre fil de vie au travers de souvenirs de moments partagés et la mise en valeur de précieux objets
Ils sont si souvent cachés dans l’armoire, je suis contente que le thème de ce challenge me permette de leur faire voir un peu le jour, finalement.
Merci pour cet article émouvant sur ta tata-marraine (c’est amusant, ma marraine chérie était également ma tante… c’est elle qui m’a offert mon ours, que je garde encore précieusement…). Que de doux souvenirs, que de liens…
Ma grand-tante disait aussi qu’une femme ne devait pas sortir « en cheveux », elle nouait toujours son turban…
J’admire celles qui savent faire des chapeaux, mais je n’ai hélas pas une tête à chapeaux, je le regrette…
Belle journée, bises
Ni en cheveux, ni « en taille » 😉 J’avais une tête à chapeaux, j’aimais en porter, d’ailleurs j’ai fini la capeline chocolat de ma mère. Mais ce n’est guère de mode, alors une fois passées les excentricités de la jeunesse…
Tu as de la chance d’avoir de jolis souvenirs familiaux et de beaux objets qui s’y rattachent. Merci pour le partage et de faire revivre tous les membres de ta famille 🙏🙏
Mais c’est que je n’avais rien, ou quasiment ! Comme je me suis piquée fort tard de généalogie, la première chose que j’ai faite c’est de passer la famille à la question. Et vu que je manifestais tous azimuts mon intérêt pour les souvenirs de la famille, tout le monde a été bien content de se délester des vieux objets, des papiers, des photos… chez moi.
Vous avez de quoi alimenter, chaque jour une lettre de l’alphabet, je trouve magique ces retours en arrière dans votre famille.
Vous racontez d’une si jolie façon ces pans de vies.
Belle journée et à demain.
Au début je n’étais pas sure d’en avoir pour 26 lettres et maintenant, je me rends compte qu’il me faudrait un alphabet plus long. Je vais devoir faire des arbitrages la semaine prochaine mais c’est parce que je regarde les choses d’une autre manière maintenant et je vois des choses que je ne remarquais même pas avant !
Délicieux et tendre présentation de ta marraine. Oh en effet quel dommage d’avoir jeter tout ce matériel… Je pense qu’aujourd’hui nous sommes plus sensibles à ces objets du passé. Dans les années 70, il fallait faire table rase sans remords du passé et passer à la « modernité ».
Bises
Violine
C’est vrai, mes parents ont terriblement regretté ensuite, quand ils ont vu à quel point tout ça m’intéressait. Mais il faut dire surtout que j’avais 17 ans et -heureusement !- d’autres préoccupations 😉 Les blablas entre copines, les chéris, la longueur de mes jupes, enfin bref…
En parcourant « Passerelle » tout au long de ce mois, j’ai de plus en plus l’impression de visiter un musée aux mille objets chargés d’émotion et présentés avec soin, un musée plein de vie et de surprises ! Bravo et merci.
Merci, ça me touche 😉 Mais je ne vis pas dans ce musée quand même, il y a beaucoup d’objets qui sont bien rangés dans leur armoire et puis certains que je me suis appropriés et que j’utilise tous les jours.