H comme… Huguette et ses médailles

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À la maison, nous nous éclairions Claude parce que la lumière, c’est clair, c’est Claude. À la vérité, c’est surtout parce que notre grand-tante Huguette travaillait dans cette société où elle a fait toute sa carrière.

Mais qui se rappelle aujourd’hui les boîtes bleues de cette entreprise disparue ? Elle se tailla pourtant la part du lion sur le marché de l’ampoule et du néon pendant la majeure partie du XXe siècle.

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Publicités Claude en 1961 et 1962

Une scolarité chamboulée

Le 3 septembre 1939, quand la France déclare la guerre à l’Allemagne, mon arrière-grand-mère Georgette et ses deux filles sont encore en vacances à Breuil-le-Vert, chez la tante Estelle. Mauricette travaille déjà à son compte comme modiste ; quant à Huguette, à quinze ans elle poursuit sa scolarité et s’apprête à entrer en quatrième.

Maurice les fait revenir en catastrophe à Paris où lui-même est rentré depuis longtemps, tenu par son travail au Crédit du Nord. Cependant Georgette garde un tel souvenir éprouvant des bombardements de la guerre précédente à Creil que les trois femmes repartent illico se mettre au vert plus au sud, à Sablé-sur-Sarthe.

C’est le début de la drôle de guerre. Si quelques escarmouches sont signalées ici ou là, vu de l’arrière on a l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose sur la ligne de front. Alors la province et son calme, ça va un moment mais en février 1940, nos Parisiennes regagnent la capitale avec l’espoir d’y retrouver un semblant de vie normale.

Les unes de la presse en mai et juin 1940 – Source : Gallica

Mais soudain les Allemands envahissent le nord de l’Europe, les Allemands entrent en France, en un éclair les Allemands sont à Paris ! Et voilà que contre toute attente, cette fois-ci rien ne peut plus décider Georgette à bouger. Elle laisse la France se lancer sur les routes de l’exode et décide de s’accrocher à son Paris… pendant que Maurice doit suivre le Crédit du Nord qui, dès le mois de mai, évacue en zone libre, à Châtel-Guyon.
« On a tout fait à l’envers des autres… »

Dans cet environnement pour le moins instable, Huguette suit tant bien que mal sa quatrième entre Sablé et Paris, puis poursuit sur la troisième à l’école de la rue Durouchoux. « Ça faisait des scolarités un peu chamboulées mais il ne faut pas croire, la vie ne s’est pas arrêtée. »

À l’école de la rue Durouchoux

Elle s’entête et en 1941, elle décroche son certificat de fin d’études complémentaires en juillet puis son brevet de capacité pour l’enseignement primaire en octobre.

Dans la foulée, elle est admise à l’école d’enseignement technique féminin de l’avenue d’Orléans pour y apprendre le dessin industriel. Elle reste dans un environnement connu, l’établissement se trouve à peine à une vingtaine de minutes à pied de la rue Francis de Pressensé et elle n’a même pas à quitter son cher XIVe.

Cours de dessin à l’école d’enseignement technique féminin

Elle y passe deux ans à se former au métier de calqueuse. C’est une spécialité qui a disparu avec l’évolution de la profession vers le numérique mais si l’on se réfère aux conventions collectives de l’époque, la dessinatrice-calqueuse est celle qui calque proprement à l’encre ou au crayon, traits, lettres, chiffres bien dessinés. Sait copier un dessin. Ne fait pas d’erreur de copie.

Son diplôme et la belle règle coulissante utilisée pendant ses études

Au printemps 1943, elle quitte l’école avec son certificat de calqueuse en poche. Elle aura vingt ans à la fin de l’année, c’est le moment de se lancer dans le monde du travail.

Commencer à travailler sous l’Occupation

Elle trouve rapidement à se placer chez Claude, une société spécialisée dans les ampoules et les néons de toutes sortes. Au tout début du siècle, Georges Claude a en effet mis au point un procédé industriel de liquéfaction de l’air sur lequel il a capitalisé pour se développer, notamment dans le secteur de l’enseigne lumineuse.

Elle arrive à Boulogne-Billancourt pour son premier jour de travail le 23 octobre 1943. Elle ne le sait pas encore mais elle ne quittera l’entreprise que le jour de sa retraite, plus de quatre décennies plus tard.

C’est un gros changement dans sa vie quotidienne. Il lui faut prendre le métro jusqu’à Pont-de-Sèvres avec deux correspondances et marcher encore un bon kilomètre le long de grands hangars industriels, souvent dans le froid et la nuit noire.

Et encore… c’est compter sans les interruptions de service de la Compagnie du Chemin de Fer Métropolitain avec les alertes, la transformation des stations en abris anti-aériens, la fermeture inopinée de certaines d’entre elles, les incidents divers et variés liés à l’état de guerre. Ces jours-là, il vaut mieux avoir de bonnes chaussures et ne pas craindre de trotter pendant plus d’une heure et demie pour ne pas manquer l’heure de l’embauche.

Mais travailler chez Claude, c’est un avantage non négligeable en ces temps de restrictions où se procurer de quoi manger est un souci permanent. Huguette est une J3, une expression qui est vite passée dans le langage courant pour désigner la jeunesse sous l’Occupation. C’est en réalité la catégorie administrative des adolescentes et des adolescents de treize à vingt-et-un ans qui détermine leurs droits aux rations alimentaires, un peu rallongées pour tenir compte de la période de croissance.

Et voilà qu’en plus de son salaire, Huguette a droit à un repas par jour qui lui est servi sur place, à onze heures du matin. Il arrive même qu’elle bénéficie de distributions supplémentaires. Ces jours-là, quand elle revient avec du miel ou une saucisse, c’est la fête à la maison !

Trois médailles pour une vie professionnelle

Puis la paix revient, petit à petit la vie se normalise, la routine s’installe. Les années s’enchaînent et sont jalonnées par les traditionnelles médailles du travail. J’ai pu sauver toutes celles d’Huguette avec les diplômes et les archives qui retracent sa vie professionnelle. Un petit trésor qui justifiait bien qu’elles soient aujourd’hui mises à l’honneur dans ce challenge consacré aux objets familiaux.

Sa première médaille lui est décernée par le Syndicat Général de la Construction Électrique, pour vingt années passées dans la même entreprise.

En 1965, pour vingt ans dans la même entreprise

Elle précède de peu la première médaille du travail, l’échelon argent qui couronne vingt-cinq années de vie professionnelle.

médaille du travail
En 1969, pour vingt-cinq ans de travail

Finalement, vient le moment où Huguette en est à sa trente-huitième année chez Claude. Imagine-t-on aujourd’hui une telle linéarité dans une vie professionnelle ? Le seul changement notable dans ses habitudes de travail intervient quand l’entreprise se regroupe sur son siège social, dans les années soixante-dix : désormais les trajets quotidiens doivent se faire pour Puteaux au lieu de Boulogne.

En 1985, pour trente-huit ans de travail

Elle reçoit sa médaille d’or au cours d’une cérémonie de circonstance, qui met aussi à l’honneur ses collègues de promotion et dont il reste même une photo-souvenir.

La remise de la médaille du travail échelon or

Cette ultime médaille coïncide avec le terme mis à sa carrière, à la fin de l’année 1984. L’âge de la retraite vient d’être abaissé à soixante ans et elle les a déjà dépassés. Après un licenciement à l’amiable qui lui permet de partir avec un petit pécule, elle peut enfin arrêter de faire sonner son réveil à 6h20, tous les matins de la semaine, comme elle l’a fait depuis plus de quarante ans.

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