Avec Simone que je n’ai jamais rencontrée, je partage Juliette et Eugène, qui sont ses grands-parents et mes arrière-arrière-grands parents. Mais nous avons également en commun deux petits hasards : les mêmes initiales et le 21 février qui est à la fois le jour de sa mort et celui de ma naissance.
C’est pourquoi je suis particulièrement sensible à son nécessaire, marqueté à nos deux initiales. Mais par-dessus tout, une boîte à couture ne pouvait que toucher au cœur l’amoureuse des travaux d’aiguilles que je suis.
Oh ! Elle n’a rien de précieux, et si elle est impeccablement assemblée en queue-d’aronde, en revanche le décor de marqueterie n’a pas été réalisé par un virtuose ; à tel point que je me demande même s’il n’a pas été ajouté par la suite, plutôt par une main d’amateur. Une attention d’un père à sa fille ?
C’est une boîte sans fioritures mais elle remplit parfaitement son office en étant astucieusement pourvue de compartiments amovibles pour faciliter le rangement des accessoires de couture. Et dans sa simplicité même, elle a accompagné jusqu’à ses derniers jours Simone, qui avait choisi une vie où elle possédait pourtant bien peu.
Simone voit le jour à Melun, en 1913, un an après le mariage de ses parents. Elle vient juste de fêter ses cinq ans quand elle perd sa maman, au tout début de 1919
Marcel, le frère de mon arrière-grand-père Maurice, était le plus fantasque des trois fils Lenoir. Il se raconte qu’ayant décidé de se remarier sans trop tarder, il passa par petites annonces et déclara à la cantonade qu’il épouserait la première à lui répondre. Non seulement il l’annonça… mais il le fit, parait-il. Dois-je vraiment croire sur ce point le récit familial, qui aime parfois à enjoliver ?
En tout cas, quelle qu’ait été la méthode, elle fonctionna : Marcel trouva en Yvonne, qu’il épousa après deux ans de veuvage, une femme selon son cœur. Et surtout, elle se révéla être pour la petite Simone une véritable seconde mère. C’est d’ailleurs elle qui allait jouer les intermédiaires par la suite, quand les choses se gâtèrent entre le père et sa fille.
Car la religion devait être leur point de discorde. Marcel, qui n’avait jamais été porté sur la chose, s’inquiétait de sentir l’inclination de Simone. Ce ne furent au début que de petites bisbilles, avec le père s’entêtant, par exemple, à vouloir faire déjeuner sa fille avant la messe. Mais la vocation de Simone résistait, au point qu’un jour de décembre 1936, elle finit par s’enfuir pour aller trouver refuge chez les Petites Sœurs de l’Assomption.
Cependant Marcel n’entendait pas en rester là. Bouillonnant de colère, il s’en vint aux portes du couvent faire un scandale et exiger qu’on lui rendît sa fille… oubliant qu’elle était largement majeure et tout à fait capable de faire ses choix. La Mère Supérieure se chargea de le lui rappeler énergiquement, Yvonne s’ingénia à rétablir le lien entre son mari et sa belle-fille si bien que finalement, Marcel était présent et apaisé lorsqu’en avril 1939, Simone prononça ses vœux perpétuels.
Elle exerça toute sa vie son métier d’infirmière. D’abord accueillie à Montrouge, elle fut envoyée à Mâcon en avril 1945, dès que les Petites Sœurs y créèrent leur dispensaire. Mais la plus grande partie de son parcours professionnel eut pour cadre la communauté qui était alors installée à Épinay-sur-Seine
À partir de l’été 1951, elle passa vingt-six ans à sillonner inlassablement les rues à vélo pour aller dispenser ses soins dans le quartier populaire d’Orgemont, qui vivait alors sa transformation de cité-jardin en ensemble de grands immeubles.
Puis quand les Petites Sœurs durent quitter Épinay, elle intégra leur communauté de Magny-les-Hameaux, dans les Yvelines, dans le bien nommé domaine de la Solitude de Mérantais. Mais si le cadre était plus champêtre, les Sœurs vivaient tout de même dans le monde et parcouraient toujours, en vélo puis en vélomoteur puis en voiture, les hameaux environnants pour assurer une présence au chevet des malades.
Simone, qui commençait à prendre de l’âge, se consacrait désormais au service du réfectoire. C’est à Mérantais qu’à l’automne 1989, elle fêta ses noces d’or. Car oui, je l’ai appris à cette occasion, les religieuses aussi célèbrent leurs noces d’or, et sans même avoir besoin de s’encombrer d’un mari pendant cinquante ans ;-)) Elle passa la journée entourée de sa famille ; je devine sur les photos ses cousines germaines, bien sûr, les filles de Maurice et de Raymond. Mais j’y vois aussi mes parents, dont je ne savais pas qu’ils avaient été de la fête.
Le temps passant et le peu de forces qui lui restaient ne lui permettant plus de vivre sans assistance, elle dut abandonner son cher Mérantais en 1995 pour être accueillie à Songeons, dans l’Oise qui était le berceau de sa famille et où elle quitta la vie le 21 février 2000.
Si je connais si bien les dates qui jalonnent la vie de Simone, c’est bien sûr que j’ai entendu parler d’elle par mes grands-tantes qui restèrent toujours proches de leur cousine germaine et m’ont rapporté certaines anecdotes, comme celle de Marcel la grondant pour qu’elle ne parte pas à la messe le ventre vide. Mais c’est surtout parce qu’après sa mort, on leur a remis, avec sa boîte à couture et quelques papiers personnels, le mot d’accueil retraçant son parcours et qui fut lu en prélude à sa dernière messe.
Voilà qui me permet d’imaginer l’itinéraire de cette autre SL, à la ligne de vie si différente de la mienne, dont je me suis approprié le nécessaire pour en faire aujourd’hui ma boîte à patchwork.
25 commentaires sur “N comme… le Nécessaire de Simone”
Bonsoir Sylvaine
Merci de l’évocation de la vie de Simone . Cette boite à ouvrage a son histoire et tu nous fais remonter des souvenirs. Moi, c’est mon Papa qui avait confectionné une boite à ouvrage avec casiers pour ma grand mère maternelle , mais aussi une autre pour ma Maman. Ma Maman avait récupérée celle de sa Maman . C’est moi qui ais les deux boites à ouvrages confectionnées par mon Papa. Ce sont deux beaux souvenirs que j’utilise . Bonne soirée. Gros bisous.
Ces boîtes sont tellement plus que des boîtes, avec tous les souvenirs qu’elle portent en elles…
Encore un membre de ta famille avec UNE histoire. Même simple cela vaut la peine que tu aies consacré un article à Simone.
Violine
Mais oui ! Tous nos gens ont leur histoire, banale et qui mérite pourtant qu’on s’en souvienne…
Merci pour le partage de la vie de Simone, heureuse qu’un peu de son histoire « vive » chez toi sous la forme d’une belle boîte à ouvrages.
Belle journée, bises
J’en prends grand soin, cette boîte est la parfaite illustration de ce que je disais en introduction à ce challenge : j’aime ce qui dure.
Quelle belle boîte Sylvaine! Et je vois qu’une religieuse se glisse toujours dans chaque famille, moi c’était une cousine germaine de mon père que j’étais allée voir avec sa mère, ma grand-tante dans son couvent de Clarisse à Paris alors que je ne devais avoir que 8-10 ans…..je n’ai pas de souvenirs photographiques de cette visite mais j’avais dû être impressionnée de la voir comme en prison, derrière des barreaux….LOL…
C’est la seule chez nous, enfin je n’en ai pas trouvé d’autre pour le moment. Je regrette tellement de ne pas l’avoir rencontrée alors que j’aurais pu. Celle-là elle avait l’air rigolote et elle vivait dans le monde, au moins 😉
Oh que c’est une belle boîte chargée de vie, de vœux, et d’émotion…
Oui, cette boîte que j’utilise maintenant au quotidien a une âme…
Magnifiques souvenirs, tout cela est très émouvant.
J’aurais pu en avoir d’elle, je regrette de ne pas l’avoir connue, j’aurais dû faire l’effort malgré l’éloignement… Heureusement que ses cousines germaines, mes grands-tantes, m’ont parlé d’elle.
Encore une belle histoire familiale .
Fêter ses noces d’or avec son divin époux !
Dans mon enfance , j’ai fréquenté trois ordres de religieuses différents et j’ignorais ces noces d’or.
Vos archives généalogiques nous en apprennent tous les jours .
Pour mieux s’y retrouver d’un coup d’œil , avez – vous fait un arbre généalogique qui m’aurait échappé ?
Bonjour Pat, oui Sylvaine a prévu le canevas illustré de son arbre généalogique : vous le verrez en cliquant sur la première phrase des billets « Aujourd’hui à la une » . . . Bonjour Sylvaine, que tout se passe bien pour vous ! Cordialement, Lysiane
Merci Lysiane, c’est exactement ça, j’aurais peut-être dû le préciser dans l’introduction… J’ai fait un petit arbre qui représente uniquement les personnes évoquées pendant ce challenge sur les objets.
Pat, j’ai découvert aussi ces noces d’or avec l’histoire de Simone, je trouve ça troublant la propension de l’Église catholique à assigner les religieuses à un rôle d’épouse, comme les petites communiantes qui, il n’y a pas si longtemps encore, ressemblait à de véritables mariées en miniature…
Une bien jolie vie pour Simone qui a tenu tête son père à une époque où cela ne devait pas souvent être le cas et quel trésor tu as hérité pour toute passionnée de mercerie ancienne ❤️❤️
La douce et discrète Simone était bien décidée, finalement. Je suppose que c’est ça, ce qu’on appelle la vocation. Mais oui, j’avoue qu’une boîte à couture, c’était inespéré !
Une belle histoire racontée simplement…..une vie au service des autres…..
À chaque fois que vous vous servez de « sa » boîte, vous devez avoir une pensée pour Simone.
Bon mercredi.
Oui, ça ne manque jamais ! Tant mieux… elle accompagne discrètement mes travaux d’aiguilles 😉
Un précieux souvenir qui est encore très utile . l’encombrement d’un mari pendant cinquante ans m’ a fait sourire . Je suis mariée depuis 52 ans et je n’ai pas l’impression d’être encombrée ; – ))
Petit trait d’humour d’une vieille fille… qui n’a pas non plus l’impression d’être une vieille fille 😉
Un doux passage. Et un épisode familial raconté si simplement.
Où l’on voit que les vies ordinaires méritent elles aussi qu’on se souvienne d’elles…
J’adore le vécu de ces objets, simples et précieux à la fois, qui ont traversé le temps ❤
Mais oui ! Son histoire ne m’en fait que plus aimer ma boîte à patch !