L comme… le petit Lit de fer

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Pendant la première guerre mondiale, le village marnais de mes grands-parents maternels, situé à une vingtaine de kilomètres au sud du chemin des Dames, souffrit énormément des bombardements. Après la mort de son bébé en 1915, ma grand-mère était partie avec ses deux aînés se réfugier dans la Loire, à Pont-Trambouze. C’est là que mon grand-père vint la retrouver dès qu’il fut démobilisé.

Ils rentrèrent chez eux pour ne plus rien trouver d’habitable dans le haut du village, où ils avaient vécu avant ce cauchemar.

Baslieux-lès-Fismes

Dans l’urgence et comme dans beaucoup d’autres communes meurtries des environs, des baraquements avaient été montés à la hâte à Baslieux, sur une zone qui s’étendait de la croix des Vigneux jusqu’après le lavoir.

Ce que je sais de la situation de mes grands-parents, c’est qu’ils ne possédaient rien. Eugène descendait d’une longue lignée de journaliers et son père, la saison venue, quittait régulièrement la famille pour aller chercher salaire là où l’on voudrait bien lui donner du travail. En 1909, au moment de partir au service militaire, Eugène était employé comme domestique de culture. Quant à Ernestine, elle avait quitté sa montagne de Reims, qui n’était pas encore l’eldorado du champagne qu’on connait aujourd’hui, pour venir embaucher à Fismes comme ouvrière pelletière.

Dommages de guerre
Mes grands-parents dans les registres des dommages de guerre aux Archives départementales de la Marne 10 R 4558

La reconstruction progressait, la commission des dommages de guerre remplissait son office et, au fur et à mesure que les dossiers se réglaient, les familles baillotines purent retrouver des logements plus pérennes. Les baraquements de fortune disparurent petit à petit ; seuls mes grands-parents et Edmond, un des frères d’Eugène, conservèrent les leurs autour desquels ils arrangèrent leur maison.

Sans que je ne puisse savoir à quoi correspond cette somme, car seul subsiste aux Archives départementales un registre comptable, mes grands-parents touchèrent, en 1921, 9 037 francs de dommages de guerre. C’est probablement ce viatique, représentant bien plus d’un an de salaire, qui leur permit de devenir propriétaires du morceau de terre sur lequel trônait leur baraque au ruisseau Bazin : ils étaient enfin chez eux !

Quand la famille pose devant la maisonnette

Cette maisonnette, je l’ai connue encore dans les années 70. Jusqu’à la mort de mon grand-père Eugène, nous allions y passer un dimanche sur deux. Je garde évidemment un souvenir idéalisé de cet endroit qui a longtemps été un espace de liberté pour petits citadins en mal de verdure.

La maison bardée de bois était tout en longueur et croulait sous les rosiers, la passion d’Eugène qui avait une main miraculeuse pour les tailler. On entrait directement dans la cuisine qui était aussi la pièce de vie. Là se trouvait l’unique point d’eau de la maison : un évier sur lequel elle arrivait quand on actionnait une pompe à main. À l’arrière se trouvait une chambre assez grande qui était celle de Pépère Génot.

La maisonnette cachée sous les rosiers

Au début, la maison était constituée de ces deux seules pièces. Puis Eugène l’avait prolongée par deux chambres plus petites mais tout était en enfilade, si bien que depuis la cuisine, il fallait traverser chacune de ces chambres pour passer à la suivante.

L’habitation était finalement terminée par une sorte de cave arrondie qui avait un toit enherbé soutenant un figuier et sur lequel grimpaient des giroflées flamboyantes. Sur le flanc gauche de la maison, Eugène avait encore ajouté le bâtiment -c’est ainsi qu’on appelle le hangar dans cette partie de la Marne- au bout duquel se trouvaient les toilettes, la basse-cour et les clapiers.

La première chambre, assez vaste, était donc celle de mes grands-parents ; elle était meublée d’un lit et d’une armoire de bois formant un ensemble très style 1930 qui avait fait la fierté de ma grand-mère mais n’a jamais vraiment retrouvé les honneurs de la mode : les jeunes générations sont pour le moment bloquées sur le formica des années 60, si marrant à customiser.

La chambre du milieu, plus petite, contenait encore un grand lit double en fer dans lequel dormaient deux des filles ; elle ne pouvait guère loger que ça et la machine à coudre d’Ernestine, placée bien à la lumière sous la fenêtre. Il n’y avait même pas la place d’y glisser des tables de chevet.

Et finalement, dans la dernière toute petite chambre se trouvait un lit de fer pour une seule personne, assez semblable aux lits de pensionnat. Il était tristement peint en marron chocolat et je ne sais pourquoi ma mère avait voulu le récupérer. Il est resté longtemps dans notre grenier jusqu’à ce qu’elle me l’offre pour un anniversaire, sachant comme j’étais attachée à ces vieilleries de famille.

Auparavant, elle avait pris le soin de le faire décaper pour qu’il retrouve sa jolie patine métallique. Il trône depuis dans mon séjour où il fait office de canapé (mais tellement plus confortable qu’un canapé !) et de lit d’appoint à l’occasion.

Comment pourrais-je ne pas aimer les meubles de famille et toute l’histoire qu’ils portent en eux ? Parfois, quand l’été est vraiment trop chaud, je déménage mes nuits dans le petit lit du salon, idéalement placé dans le passage de l’air entre deux fenêtres. Les seuls draps qui lui conviennent sont ceux que ma mère avait cousus pour nos lits d’enfants et qu’elle avait ornés d’un simple bourdon rouge.

Je ne saurais décrire le délice qu’il y a à se glisser entre ces increvables draps de gros coton, dans le petit lit de la maisonnette. Je m’endors sous la protection de mes grands-parents, de mes parents… Le récit de leur vie n’est jamais écrit dans la grande histoire mais c’est celle de mes gens.

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