Je ne sais de qui je tiens ma passion des vieilleries et ma collectionnite aiguë car ma mère n’a jamais été fétichiste des objets. J’ai encore dans l’oreille son rituel « Ça n’a pas d’âme ! » la dédouanant de sa maladresse quand elle échappait un verre ou une assiette qui se brisait au sol.
Elle a pourtant toujours fait une exception pour le plat émaillé dans lequel elle cuisinait la majorité de ses recettes au four : celui-là était sacré. « Quand je n’y serai plus, ne laisse surtout pas partir le plat bleu de Maman, c’est le seul qui fait de bons gratins » Je me suis assez moquée d’elle et de cette prévoyance saugrenue. N’empêche que passé le souvenir de nos rigolades sur le sujet, j’ai évidemment pris soin de sauver le précieux plat de Mémère Titine.
Un peu cogné et égratigné, pas mal usé mais toujours vaillant malgré tout… et toujours le meilleur pour les gratins ! Après huit décennies au service de trois générations, passé de la cuisinière à bois à la gazinière puis au four à chaleur tournante, transfuge de la Champagne à la Bourgogne, finalement il ne s’en sort pas si mal.
Est-ce que j’enfonce une porte ouverte en disant que la cuisine de ma mère était la meilleure au monde ? Sans aucun doute ! Et pourtant… Bien des décennies avant que ce ne soit à la mode, elle était déjà adepte des cuissons justes, des accompagnements légers et des produits de saison pour la plupart issus d’un potager qui la remerciait de ses bons soins par une impressionnante rentabilité.
De son côté, mon père se chargeait volontiers du verger et de la taille des fruitiers. Son beau-père, maître en la matière, l’avait initié à cet art auquel ne le prédisposaient guère ses origines parisiennes. Quetsches, mirabelles, abricots, cerises et pêches soignées et récoltées par Pierre, mises en conserve et cuisinées par Ginette, alimentaient le rituel plateau de mini-tartelettes sans lequel nous n’aurions pu fêter Noël.
Il s’était aussi construit, à l’abri sous le préau de la terrasse, un barbecue de compétition grâce auquel il cuisinait du 1er janvier au 31 décembre. J’entends qu’il y cuisinait vraiment, nous régalant, pour les repas de fête, de saumons grillés entiers ou de délicieuses coquilles St-Jacques bardées de lard croustillant ; et toutes les fins de semaine, de brochettes juteuses, de patates et de légumes divers cuits à l’étouffée sous la cendre ou de volailles rôties au Capucin.
Si j’ai hérité de mon père la gourmandise et le plaisir à cuisiner quand la fantaisie m’en prend, j’avoue que je n’aurais jamais su, comme ma mère, me plier à la routine d’une cuisine familiale à renouveler jour après jour, avec toutes les contraintes et le mortel ennui qui l’accompagnent. Cependant, c’est d’elle que je tiens beaucoup de mes recettes, provenant pour la plupart de ce Elle auquel je l’ai toujours vue abonnée.
Ah ! Les mythiques boîtes orange contenant les non moins mythiques fiches-cuisine, délivrées chaque semaine par lot de quatre et protégées dans leur pochette de cellophane ! Dans la seconde moitié du XXe siècle, elles ont constitué la base du savoir culinaire dans beaucoup de familles. Elle vient de là, la recette du lapin paquets qu’à la suite de ma mère, je prépare toujours dans le plat émaillé bleu utilisé jadis par ma grand-mère dans la cuisinière à bois de la maisonnette.
un lapin fermier
une dizaine de tranches de poitrine fumée
6 tomates moyennes
4 oignons
romarin et sarriette (ou à défaut, thym)
huile d’olive
Tapisser le fond d’un plat à four d’oignons finement émincés.
Découper le lapin en morceaux pas trop gros. Pour ma part, je détaille le râble, le coffre et chaque patte arrière en deux parties. Je fais aussi un paquet avec chaque patte avant et le foie. Puis comme le faisait ma mère, j’en fabrique un avec chaque rognon enveloppé dans une oreille, la gourmandise réservée aux petits. Car oui, je n’ai réalisé que très tard, à ma grande confusion et sous les moqueries familiales (en gros, j’avais quand même dépassé la trentaine !), que ma mère nous avait menés en bateau : ce qu’elle nous avait toujours présenté comme les oreilles du lapin, c’était en réalité les panoufles détachées des râbles. Ne mentez pas aux enfants, c’est mal ; ils sont si naïfs qu’ils peuvent encore croire pareilles sottises une fois parvenus à l’âge adulte ;-))
Poser sur chaque morceau de lapin une brindille de romarin et une de sarriette puis l’envelopper dans une tranche fine de poitrine fumée.
Poser tous les paquets sur le lit d’oignon, sauf celui du foie, et bien tasser entre chaque les tomates coupées en morceaux.
Saler modérément (la poitrine fumée l’est déjà) et poivrez le plat, arroser d’huile d’olive.
Enfourner au four préchauffé à 200°. Au bout de 30 minutes, ajouter le paquet du foie et arroser avec le jus qui s’est formé. Si la poitrine fumée est déjà bien grillottée, baisser la température à 180°. Continuez la cuisson pendant 20 minutes en arrosant encore une ou deux fois.
Servir avec l’accompagnement de votre choix. Ici, c’est comme le faisait ma Maman, avec une pincée de nouilles. Réussirez-vous cette recette sans le plat bleu de Mémère Titine ? Je ne sais pas… mais ça se tente ?
Et si vous préférez une recette de la mer, je vous rappelle les jambalayas de mon challenge louisianais en 2021.
33 commentaires sur “I comme… l’Intemporel plat à gratin”
J’aime beaucoup ce retour sur les plats de notre enfance et la cuisine de maman. A mon mariage, maman m’avait offert son livre « la cuisine de Tante Marie » et à la naissance de mon 1er enfant, j’ai reçu le gros livre de cuisine de Raymond Oliver…il faudra que je raconte ça un jour
Bonjour Sylvaine
Chez ma grand mère maternelle, c’était un plat émaillé jaune qui servait pour les gratins . C’est ma maman qui l’avait ensuite et je m’en suis servi aussi de nombreuses années. Que de souvenirs. Ton plat est encore en bon état malgré son âge. Une vraie relique . Merci pour ce nouveau billet . Gros bisous.
La vaisselle est increvable, en fait, à part la casse. Je m’en rends compte en me servant encore de plein d’ustensiles achetés pour m’équiper lorsque j’ai débuté dans la vie, ils sont toujours là et en état !
Ce plat à gratin a bien vieilli, je trouve… de mon côté, hélas, aucun objet de ce style transmis de génération en génération, à part peut-être des casseroles en cuivre, mais qu’il serait à présent dangereux d’utiliser, vu l’état dans lequel je les ai trouvées, abandonnées dans un coin de la maison de ma tante…
Merci pour la recette, je la note pour la tester…
Bon dimanche, bises
Oui, surtout pour l’alimentaire, il y a des objets qu’on n’a plus trop envie de remettre en service. Ce plat-là, c’est vraiment parce que je l’ai toujours vu dans notre placard de cuisine, et toujours utilisé.
Ton nouvel article suscite tellement de souvenirs de mon enfance et ma jeunesse! Ils se bousculent dans ma tête pour être tous cités….LOL…
Ton plat à gratin bleu est magnifique et me fait penser immédiatement–même si sans rapport avec ton plat–au très humble saladier en faïence jaune pâle couvert des cicatrices du temps dans lequel ma GM maternelle faisait ses salades de concombres à la crème…j’en ai hérité et m’en sers très souvent (avec beaucoup de précaution..!), me rappellant ce cher souvenir d’enfance…
Ahhh ces recettes familiales qui durent et perdurent, j’en ai tellement moi aussi–les pletz (j’ignore l’ortographe, c’est le son que j’entendais à la maison–salade froide de tripes très relevées à la moutarde que nous adorions tous), knepfles et kougelopf, recettes alsatiennes venant du côté de mon père sans oublier les fameux pâtés de pommes de terre de Montluçon de mon arrière GM…et ses délicieux pâtés de « viande » (pâté lorrain).
Quant au fameux lapin….énormes souvenirs de ma GM maternelle qui en avait dans sa grange et se chargeait d’en faire des sublimes lapins rôtis ou en gelée…..ou ma mère qui faisait régulièrement ses pâtés de lapin…..viande introuvable au Royaume-Uni où j’habite depuis trois décennies et impensable (et choquante..!) pour les palais anglosaxons!
On n’en finirait plus de lister nos plats-doudous, ceux qui sont tellement évocateurs de souvenirs ! C’est que la cuisine met en mouvement nos cinq sens et qu’il n’y a rien de tel pour stimuler la mémoire.
Ces plats émaillés 😍. Ici qd une fêlure apparaît malheureusement ; ils trouvent une seconde vie dans le poulailler pour servir de bac à grain pour les poules 🐓.
La recette donne terriblement envie !
Super idée ! Il me FAUT un poulailler pour recycler ma vaisselle en bout de course !
Vous me remettez en mémoire une petite histoire vieille de presque 50 ans. Mon père m’avait tué un de ses lapins pour le cuisiner en Allemagne pour mon fiancé américain et ses copains. Mon futur mari a montré les omoplates du pauvre lapin en disant que c’était ses oreilles. Vous vous en doutez: j’ai mangé du lapin toute seule toute la semaine!!!! et n’ai jamais oublié l’horreur sur le visage des copains qui n’avaient jamais mangé de lapin de leur vie. Et je n’ai toujours pas trouvé de bon lapin à acheter dans le commerce aux USA, seulement du « carton » congelé!!!!! En conséquence, j’essaierai votre recette avec du poulet. Ca devrait être délicieux également! Votre Challenge AZ est vraiment intéressant.
Le lapin c’est quand même particulier, oui je pense que le poulet c’est une très bonne idée !
Cette recette est tellement appétissante que je vais la faire dès ce week-end.
De plus, elle est très diététique, elle conviendra à tout le monde. Merci pour ce partage !
Ça va devenir juste pour les tomates mais c’est vrai que la saison est tardive, j’en ai encore eu des françaises et très bonnes il y a une dizaine de jours.
les cocottes en fonte de mémé popo n’ ont pas pu être conservées , bien trop abimées à l’ intérieur car de l’ émail qui manque rend un plat inutilisable disait maman ! par contre , j’ ai les fiches de Elle , dans la boite orange , elles m’ ont suivie à Paris et sont redescendues dans le Sud ! quant au lapin , je ne peux plus en manger alors que j’ adorais cette viande , je les vois gambader ….
Mais oui, c’est spécial, le lapin : je n’en fait jamais avant d’être assurée auparavant que mes invités le mangent volontiers. Tu verras le jour du S le rapport particulier des gens de la campagne aux animaux de la basse-cour 😉
un article … succulent !! Récupéré un plat de plus de 80 ans, fantastique. J’ai bien récupéré quelques plats de ma grand-mère mais pas plus … Merci pour la recette
Bises
violine
J’ai été moi-même étonnée quand j’ai réalisé son âge…
Je note pour la prochaine saison des bonnes tomates.
J’allais me dire que , non, le volailler ne vendait pas les oreilles.. jusqu’à ton aveu trop mignon.
L’idéal c’est août et septembre… même si on a eu droit à une petite prolongations cette année.
Ça donne envie . mais est-ce possible sans le plat bleu ??
Oui ! J’en suis persuadée 😉
Merci Sylvaine, pour cet article très intéressant !
Je ne connaissais pas la recette du lapin paquets. Je l’essaierai l’an prochain, au moment des bonnes tomates d’été.
Je suis moi aussi, fan de beaucoup de vieilleries dans beaucoup de domaines, et notamment la vaisselle dépareillée parfois …
Le problème, c’est que je ne sais pas me séparer des choses que j’ai chinées au fil des ans. Je les aime toujours, et me laisse envahir .
Au contraire de beaucoup, je trouve que les objets anciens ont vécu et ont une âme. J’aimerais souvent connaître leur histoire antérieure …
J’ai eu la même difficulté : accumuler sans pouvoir éliminer, une malédiction quand on aime la chine 😉 Mais la perspective d’un éventuel déménagement m’a fait m’atteler au tri, et j’ai découvert qu’on éprouve un certain plaisir à ranger, sélectionner, éliminer, redécouvrir, s’alléger… En fait, ça redonne de la valeur à ce qu’on choisit de conserver et qui était un peu perdu au milieu de l’accumoncellement.
Cette fois , ce qui ne gâche rien , nous avons droit à une recette !
Et de l’humour avec les oreilles du lapin.
Cuisine familiale :nos mères et surtout nos grands-mères déployaient des trésors d’imagination pour nourrir des familles souvent nombreuses avec les ressources du potager,du verger et de la basse-cour.
Imprégnée de cette façon de vivre,au moment des choix,j’ai fait pareil,ce qui est devenu très tendance aujourd’hui où on parle beaucoup d’auto-suffisance .
Je me suis tellement ridiculisée avec cette histoire d’oreilles, à soutenir mordicus ma position sans réaliser à quel point c’était absurde, ah ah ah ! Les croyances de l’enfance ont la peau dure…
C’est malin, il n’est que 10h du matin, et j’ai déjà envie de passer à table! %-)
En tout cas, je note ta recette, on adore le lapin!! et les rognons, (et le foie), oui, mmm… un régal!
De toute manière, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, parler cuisine ça me donne faim ,-) Ou plus exactement, « envie de passer à table », comme tu le dis…
Il a encore de belles années devant lui ce plat émaillé bleu.
Merci pour la recette, je ne connais pas, mais certainement à essayer.
Souvenirs et réalité, avec ce nouveau post.
Belle journée,
Je dois reconnaître que je le ménage tout de même, et qu’il a son double en pyrex pour la cuisine « ordinaire ». Je veux qu’il serve encore longtemps, justement…
Pour moi l’intemporel de cet article, c’est l’assiette de service du lapin qui est semblable à la série d’assiettes de chez mes parents: bouquet champêtre, insectes, petite frise du tour..Et la question est: chez qui de nous six sont ces assiettes, le service de verres, les couverts? Moi j’ai les couteaux, cadeau de mariage fait à mes parents! Comme s’il fallait prouver que les objets ont parfois une histoire!
J’essaierai également la recette, qui fait saliver.
Les assiettes, c’est de la chine 😉 J’aime bien accumuler ces « terre de fer » dans les tons bleus, mais elles sont toutes dépareillées.
Alors non seulement on savoure tes articles quotidiens, on admire ces objets que tu nous régales encore avec une recette. Je la tenterais bien quand la saison des tomates sera revenue. Merci.
Oui, il y faut les bonnes tomates d’août ou septembre, et encore cette année on a eu droit à une petite prolongation de la saison.