Le menu du repas servi à la communion de notre père est surtout le souvenir d’un gros fou-rire. Nous étions encore enfants quand il l’avait retrouvé et nous l’avait fièrement exhibé. Bien qu’il ne soit guère porté à la nostalgie, peut-être était-il un peu ému en repensant à ce jour spécial ? Mais la litanie des plats servis, et surtout leur introduction, avait fait partir en moqueries les enfants de 1970 que nous étions et il n’avait pas tardé à nous suivre.
Trente ans ne s’étaient pas encore écoulés, mais tant de choses avaient changé ! Je réalise maintenant qu’en 1970, la paix était signée depuis vingt-cinq ans seulement, et encore la fin des restrictions n’était-elle arrivée que bien plus tard.
Pourtant, nous vivions déjà dans un autre monde. La société de consommation prenait furieusement ses aises et nous étions ses enfants. Des enfants qui découvrirent, les yeux un peu ronds, tant de premières fois : les premières épiceries en libre-service puis les premiers supermarchés, le téléphone (attaché au mur par un fil, jeunes gens ;-)) installé à la maison après des années sur liste d’attente, l’achat de notre première télévision en 1969 puis le walkman qui était le premier avatar de la musique portable.
Nous n’étions pas encore exposés au trop-plein de tout qui est le nôtre aujourd’hui. Mais notre quotidien ne connaissait pas la sensation de manque et nos parents n’évoquaient pas tant que ça leur enfance et leur adolescence en temps de guerre. Quand nous les interrogions sur leur jeunesse, ils arrivaient toujours à nous amuser avec des anecdotes légères. Ma mère était déjà disparue depuis plusieurs années quand j’ai su qu’un jour de 1943, elle était rentrée bouleversée à la maisonnette après avoir assisté à la violente arrestation du boulanger ; encore ne savait-elle pas qu’il passerait par Neuengamme et n’en reviendrait pas. C’est une histoire qu’elle ne m’avait jamais racontée elle-même.
D’ailleurs, avec l’égoïsme des petits, nous n’avions aucune idée des tours de vis qu’ils devaient parfois donner pour boucler les fins de mois. Alors sur le moment, rien ne nous avait semblé plus drôle que ces sardines en boîte, plus qu’ordinaires dans notre quotidien, présentées comme mets de choix en prélude à un repas de fête.
Papa nous avait alors expliqué qu’à l’époque, en pleine guerre, ces sardines étaient certainement le plat le plus rare et le plus apprécié du menu. Mais d’ailleurs, comment fut-il possible de proposer un tel assortiment en 1944 ? Tant de questions me viennent maintenant alors qu’il est trop tard pour les poser…
Je suppose que la fête était organisée en campagne et qu’il ne fut servi de chaque plat qu’à lèche-doigts. Mais il devait tout de même y avoir une sacré économie de tickets de rationnement associée à une bonne dose de marché noir derrière cette énumération de plats.
En tout cas, ce ne sont pas les vins qui risquaient de poser problème : quand il fallut vider la cave du grand-oncle Roger en 1990, on exhuma encore des bouteilles qui dataient du début du siècle et qui n’avaient certainement plus d’intérêt que pour la collection.
Que j’aimerais encore avoir sous la main ce petit Pierrot à l’angélisme trompeur (je me suis laissé dire qu’enfant, notre père était plutôt un diablotin !) pour l’assaillir de questions. Dire que je ne sais même pas qui étaient ses parrain et marraine…
16 commentaires sur “Y comme… Y’a des sardines au menu”
Rien n’est perdu pour découvrir qui étaient ses parrain et marraine 🙂
Je viens d’en faire l’expérience : j’ai écrit au secrétariat paroissial du lieu qui m’intéressait, et j’ai pu avoir ces deux noms. Je n’ai pas demandé la photocopie de l’acte, j’aurais peut-être dû ? :-))
En tout cas si tu penses savoir où se trouve l’église dont dépendait son adresse du moment ça devrait le faire !
Oui, j’ai trouvé son certificat de baptême que Mamie avant plaqué dans la couverture du livret de famille ! Je n’ai pas de trop bonnes expériences avec les curés, je n’ai même jamais réussi à obtenir mon propre baptême. Mais je pourrais réessayer pour Papa.
j’ai été faire un tour sur ton lien. Je suis en effet étonnée de ces menus si alléchants mais sans doute que de noms. Les assiettes ne devaient pas être si garnies que cela (lol). Même gamin, ton papa était très beau !!
violine
Oui, je suis sure qu’il y avait trois fois rien de chaque plat.
Mon père c’était un peu un joli cœur, je crois 😅
Sacré repas qu’il fallait vite déguster pour retourner à la messe des vêpres l’après-midi !
J’ai lu tous vos articles avec bonheur, merci à vous pour ces souvenirs.
Nous on n’avait pas les vêpres mais du coup, ça n’en finissait pas, on ne sortait pas de table avant 3 ou 4 heures de l’après-midi ! Heureusement « de mon temps » ce genre de repas à rallonge commençait déjà à être passé de mode et à se faire rare.
Quel menu !! On ne pourrait plus manger tout ça maintenant mais je me rappelle il y a une quarantaine d’années de certains repas qui s’éternisaient et à peine finis, on repartait pour l’apéro et la soupe aux oignons 🙈🙈
Ce ne sont pas de si bons souvenirs, finalement. Qu’est-ce qu’on se sentait mal, après manger !
Quel menu ! Même avec de petites portions , comment faire actuellement un pareil repas . Il est vrai qu’à l’époque les repas de communion ou de mariage duraient des heures . On regrette toujours de n’avoir pas posé certaines questions ,mais sur le moment on y pense pas ou parfois on ose pas . Quant aux sardines les choses simples sont parfois les meilleures.
Ça ne fait pas discussion : les sardines à l’huile, les pâtes au beurre, la soupe au lait… même combat au rang de nos meilleurs souvenirs culinaires !
Quel menu…….les invités devaient être rassasiés à la fin du repas !
Votre papa a un visage tout doux et une attitude de circonstance……une belle photo.
On voudrait tant encore quémander des souvenirs, il est parfois trop tard.
Vous faites un travail magnifique.
À demain pour la fin de ce challenge, que vous relevez dignement.
Je me rappelle avoir encore connu de ces repas où n’avait que la sieste comme solution en sortant de table ! Oui, c’était long et inconfortable, ça ne manque pas. Et le digestif après le café ? Ça aussi c’était un rituel, et bien oublié aujourd’hui.
En 2004 ,mon mari a fait un trek de trois semaines au Ladakh , bien nourri mais régime végétarien,il avait emporté avec lui …
une boîte de sardines à l’huile dégustée le dernier jour comme un caviar inestimable !
La sardine à l’huile, c’est excellent, je comprends que ça puisse le plaisir suprême dans certaines circonstances 😉
Pour faire un cadeau à ma tante, j’avais retrouvé une photo d’elle en communiante (on aurait dit une mariée…), que j’avais scrappée, et je m’en veux de ne pas lui avoir posé plus de questions que cela, sur le menu, les conditions dans lesquelles ses grands-parents (chez qui elle vivait à l’époque avec ma mère) avaient pu lui organiser un repas de communion…
Heureusement, il me reste quelques lettres (pas toutes datées, hélas), découvertes après leur disparition, qui me permettent de combler quelques blancs, mais il m’en restera beaucoup…
Belle journée, bises
Ah ! Ces communiantes qu’on assigne déjà à leur rôle de future mariée, ça fait partie des choses qui m’ont toujours interloquée dans les pratiques catholiques…