Quand l’idée m’est venue de ce challenge, je n’étais pas certaine de sa faisabilité et j’ai finalement été surprise d’avoir en ma possession autant d’objets porteurs de souvenirs familiaux. En vérité, il m’aurait fallu plus de vingt-six lettres !
Il y a malgré tout un objet, ou plutôt une série d’objets, que je suis au désespoir de ne pas retrouver : ce sont les films réalisés par mon père pendant notre enfance.
Quand mes parents ont débuté leur vie de jeune couple, la société de consommation n’avait pas l’outrance d’aujourd’hui : les notions de nécessaire et de superflu ne suivaient pas du tout les mêmes frontières. Par exemple en 1960, il était tout à fait ordinaire, comme eux, de ne pas avoir de voiture ; et bien que travaillant l’une et l’autre, ils avaient dû contracter un petit emprunt auprès de la famille pour pouvoir acheter un Frigidaire à ma naissance.
Autant dire que l’appareil photo -et le développement des pellicules- était déjà considéré comme un plaisir en plus. Mais que dire de la caméra achetée après la naissance de mon petit frère ? Un luxe déraisonnable, assurément. Pourtant mes parents n’avaient pas hésité à mettre des sous de côté pour cet achat.
Une Paillard-Bolex ! Tant qu’à faire de s’offrir une petite folie, autant miser sur la qualité suisse… Mais celle-là aussi a disparu.
Quelle excitation c’était quand une soirée cinéma s’annonçait ! On tendait le drap blanc entre deux fenêtres, il fallait régler le projecteur pour que l’image arrive pile au bon endroit, ni trop haut, ni trop bas, juste à la bonne taille et bien nette. Rien de tel pour nous faire tenir tranquilles, nous étions tous les deux allongés par terre sur le ventre, la tête dans nos mains ; nous attendions avec patience que la technique soit domptée et que le crin-crin de la projection commence, avec ses premières images blanches semées de filaments dansants.
Ensuite le cérémonial était bien réglé. Nous faisions le programme en réclamant telle année, tel anniversaire, telles vacances. Bien sûr nous connaissions les histoires par cœur, nous hurlions toujours au même moment pour que Papa arrête la projection et reparte en sens inverse : à la centième fois, nous pleurions toujours autant de rire à voir Maman recracher ses spaghettis au lieu de les avaler et elle faisait toujours autant semblant de s’indigner de nos moqueries.
Nous n’avions pas la télévision mais ces soirées ont encore gardé le même attrait après 1969, quand elle est arrivée chez nous.
Le format super 8 n’était même pas encore sorti, on en était toujours au 8 mm. Ai-je gardé de ces films un souvenir embelli par l’aura du passé ? Probablement. Il me semble cependant qu’ils étaient rythmés et sans longueurs inutiles, car effectivement mon père passait beaucoup de temps au montage. Il avait regroupé tous les interminables plans de paysages sur des bobines à part et celles-là, on ne les lui réclamait jamais…
Il avait une colleuse spéciale pour cet usage, qu’il avait fixée sur une planche de bois pour qu’elle ne bouge pas lorsqu’il se lançait dans le travail de précision. Quand les films revenaient du développement, il les mirait devant une lampe, il jouait des ciseaux aux bons endroits, il grattait l’extrémité d’un des morceaux à assembler et il utilisait un tout petit pinceau pour y déposer un soupçon de colle. La colleuse remplissait ensuite son office en assurant un positionnement précis des deux morceaux et en les maintenant le temps du séchage.
C’était magique. Cependant c’était un spectacle fort rare : je le soupçonne d’avoir le plus souvent attendu que nous soyons au lit pour se livrer à ce travail d’acrobate qui nécessitait de la concentration et, par conséquent, de ne pas avoir dans les pattes des loupiots aux milles questions.
Serais-je déçue, si je retrouvais ces fameux films, de les revoir avec mes yeux d’aujourd’hui ? J’en doute, tant le souvenir est vif de nos soirées cinéma.
Les premières vacances à Chouvigny, quand il a fallu retirer les petites roues du vélo. Les étés suivants à Ampolla et les images de la 4L cahotant dans l’oliveraie du Cap Roig pour rejoindre notre crique solitaire. Tant de fêtes d’anniversaire et de bougies soufflées avec enthousiasme, de Noëls et de paquets ouverts fébrilement au pied du sapin…
Quelques moments particuliers émergent de ce flot d’images. Nous habitions, à Tinqueux, un quatrième étage ouvrant sur la route nationale, à cinq kilomètres à peine du circuit de Gueux ; notre balcon nous faisait opportunément profiter d’une vue plongeante sur la dernière station-service avant d’y arriver. Quand la fameuse course d’endurance des 12 heures de Reims s’annonçait, nous étions aux premières loges pour assister à la noria des voitures de course qui rejoignaient le circuit et s’arrêtaient à la station pour se ravitailler. Et oui ! Comme la plus ordinaire des voitures, ces bolides empruntaient aussi la route pour se rendre à destination !
Inutile de dire que nous aurions pu louer des places car les balcons de notre HLM était toujours pleins pour l’occasion. Et mon père en profitait évidemment pour tourner des images qui sembleraient aujourd’hui bien surprenantes.
Mais ces films étaient aussi l’occasion, pour les parents, de nous concocter des entourloupes dans lesquelles nous sautions bien sûr à pieds joints. Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1962, ils avaient ainsi passé des heures à tourner en stop motion un film qui faisait arriver nos joujoux sous le sapin par leurs propres moyens.
J’imagine leur nuit blanche pour nous monter ce bateau, Maman avançant chaque jouet millimètre par millimètre, Papa captant l’image quand il était bien positionné, et ainsi de suite jusqu’au petit matin. Mais aussi, quel bon public ils avaient ! Ils nous racontèrent avoir posé la caméra au pied du sapin pour surprendre le ballet des jouets, certainement il s’en passait de belles la nuit de Noël et nous allions avoir une sacrée surprise quand le film reviendrait du développement.
Inutile de dire qu’effectivement, le grand jour de la projection étant arrivé, toute cette magie nous en décrocha la mâchoire d’étonnement !
Le circuit du chemin de fer se montait morceau par morceau pour former un cercle parfait puis le petit train se mettait à circuler dessus comme par enchantement. Ma poupée grimpait toute seule dans son berceau ; chaque vêtement de sa garde-robe, cousue maison dans le plus grand secret, venait en dansant s’accrocher sur les cintres de la petite armoire qui était aussi sous l’arbre de Noël cette année-là.
Le souvenir de ces films est si prégnant que j’avoue être un peu obsédée à l’idée de les retrouver. Quand mon frère n’a plus été là, nous n’avons plus supporté l’idée de les regarder, pas plus que d’ouvrir les albums photos. Ont-ils vraiment disparu ou bien ont-ils été oubliés bien loin dans un fond d’armoire ?
Car le temps a fait son œuvre et le plaisir est revenu à se plonger dans les images. J’ai l’impression d’avoir cherché partout mais je n’ai pas perdu tout espoir. Peut-être qu’un jour, au hasard d’un nouveau tri, chez moi ou dans la maison des parents…
Garder la trace des moments de bonheur et des choses belles (…),
Annie Ernaux – Les années Super 8
filmer ce que jamais on ne verra deux fois.
23 commentaires sur “X comme… une X sur les films disparus”
j’adore , je retrouve mon enfance…………
oh là là les mêmes souvenirs, les films de papa et de mon grand-père, les séances « cinéma » du dimanche, l’encolleuse et les râlements de mon père à chaque fois que le film cassait. Heureusement, nous avons pu récupérer tous les films de mon grand-père (+ les diapos). Tout cela chez mes parents.
Pour les 80 ans de Maman, avec un copain, nous lui avons fait un montage « spéciale Josy » (maman s’appelle Josette) de l’âge de 19 ans à nos jours … 30 mm de film qui me donne des larmes aux yeux à chaque fois que je le revois puisque toute la famille y est. Hélas, la qualité n’est pas au RV. La technique de copiage était des plus archaïque : filmé avec un APN le film qui passait sur un grand écran blanc (tu vois ce que je veux dire, l’écran qui s’enroulait) mais hélas cela coûte cher d’enregistrer ses films sur CD ou clefs USB.
VIOLINE
Oh ! le film qui casse en plein visionnage ! C’est vrai, j’avais oublié ça, aussi 😉 Réparation de fortune vite fait pour pouvoir continuer la soirée projection, en attendant mieux…
Oui, c’est vrai, la numérisation des films, c’est un budget. Je suis contente d’avoir trouvé quelqu’un de ma connaissance qui a l’équipement et peut s’en charger… Il n’y a plus qu’à remettre la main sur ces bons sang de bois de films !!!
J’en ai une bonne partie à la maison puisque je les ai récupérés pour faire ce film/anniversaire. Mais j’ai repéré où étaient les autres ainsi que les diapositives chez mes parents… Mais avec ma soeur il n’y aura pas de problème de « jetage » impulsif. Elle tient elle aussi à ces films, diapo et photos. Par contre, le projecteur nous a lâché au bout de 30 mm. de visionnage… il n’avait plus l’âge le pauvre à repasser nos souvenirs (lol). Heureusement, nous avons pu en trouver d’occasion sur E…. Bon il fallait l’aider et l’accompagner sur une des bobines mais on s’est bien débrouillé (lol). Tu as eu de la chance d’avoir quelqu’un pour te les numériser. (sur quel format : CD, clef USB ?)
violine
Je ne connais pas les détails encore, c’est mon docteur des ordinateurs, il fait des miracles ! Pour le moment, ce que je vais lui amener, ce sont des anciennes diapositives et des négatifs qui n’ont pas été développés. Le plus probable je suppose c’est qu’il me fasse passer ça via nos Dropbox puisqu’enfin je me suis mise au cloud sur ses conseils et je dois dire que ça m’a retiré un énorme poids !
Tu me diras et je vais voir avec fiston le Dropbox (lol). C’est bien gentil tout cela, les USB, CD, Cloud mais il faut savoir comment faire !!!
Je reculais depuis longtemps mais j’étais toujours sur le fil du rasoir pour les sauvegardes, il ne fallait pas qu’il m’arrive un pépin, j’aurais pleuré des larmes de sang. Et en fait, c’est ultra simple, ça s’installe en un rien de temps et ça ne change pas mes habitudes : je bosse normalement sur mon ordinateur et j’ai tous mes fichiers en local, je ne m’occupe de rien mais tout ce que je fais se réplique en temps réel sur mon espace Dropbox. Je suis beaucoup plus détendue, je t’assure !
J’espère qu’un jour tu les retrouveras 🤞🤞
J’en ai toujours l’espoir… Si ça arrive, je crierai si fort que tout le monde l’entendra, ah ah ah !
Une de mes sœurs a eu la bonne idée de faire numériser les petits films de famille par un professionnel ,avant de nous l’offrir.
J’ai eu plaisir et émotion à revoir ces images mais notre plus jeune sœur a tellement pleuré que ses enfants ,très jeunes à l’époque , n’ont plus voulu qu’elle le regarde….
C’est vrai que nous réagissons toutes différemment aux souvenirs, et les images animées ont une puissance d’évocation tout à fait particulière…
Te lire est toujours un plaisir rempli d’émotion…
quel parents magiques tu avais ! Quelle merveille d’amour et d’invention que ce petit film de Noël! Je X les doigts très fort pour que tu remettes la main sur ces trésors, même si tes souvenirs sont si vifs qu’ils compensent leur absence
Je crois qu’ils s’amusaient autant que nous à ces petites « bêtises », et à l’idée du plaisir qu’ils nous feraient 😉 Je reste optimiste… En plus, maintenant, je connais quelqu’un qui s’est lancé dans la numérisation de films, tous les voyants sont au vert pour que la chance me sourie !
Quelle lecture et quels souvenirs tu fais émerger chez moi ! La même passion photo/film chez mon Papa, les mêmes films de Noël avec les vraies bougies qui apparaissent dans le sapin, le père Noël qui apporte les paquets ( mais on reconnaît les pantoufles et le bas de la robe de chambre de maman! Mémée qui découvre un nouveau panier à salade mais… avec des escargots en pâte d’amande dans des vrillons verts!
Même l’odeur du produit (lequel ??) pour la colleuse…
Je crois que ces vieux films ont été numérisés. Je ne les ai pas mais l’un de mes neveux doit les avoir.
Merci d’être à l’origine de ces vieux et bons souvenirs
Si tu a la chance qu’ils aient été numérisés, tu devrais essayer d’en récupérer une copie tout de suite, car c’est un trésor pour tes enfants et petits-enfants qui n’ont pas les mêmes souvenirs que toi. Et peut-être qu’au moment où ils y penseront, il ne sera plus temps ?
La colle, elle était dans un petit flacon comme le vernis à ongle, avec son pinceau dans le couvercle 😉
merci Sylvaine pour ce moment d’émotion que tu partages avec nous. J’aimerais aussi retrouver ces souvenirs de ce que mon papa filmait ou photographiait et que nous n’avons pas eu la présence d’esprit de conserver précieusement. On ne pensait pas alors que la nostalgie viendrait un jour…
Je ne pense pas qu’il s’agisse de nostalgie, car personnellement je ne voudrais pas vivre dans un autre moment qu’ici et maintenant. Vivre le présent est tellement excitant ! Mais de la gratitude pour les jolis moments que j’ai vécus, certainement, et j’oublie les autres 😉
Une séquence émotion, que vous retrouverez si vous avez la chance de voir apparaître ces films ! Je vous souhaite, après tant d’années, rêvez, redécouvrir les bons moments filmés avec amour par votre père.
Toute une époque que vous relatez, des souvenirs bien présents……on les enjolive parfois, mais c’est si bon !
Bon début de semaine,
On les enjolive à coup sûr ! Au bout d’un moment (quand on a la chance d’avoir eu une enfance sans malheurs saillants, bien sûr), ne restent en mémoire que les jolies anecdotes. On oublie les moments d’ennui, de mal-être, de chicanes pour ne plus retenir que le positif. C’est bien aussi d’en être consciente pour ne pas développer une nostalgie excessive pour le passé.
Je suis très émue en te lisant, et je te souhaite du fond du cœur que le hasard, qui fait parfois si bien les choses, mettent sur ton chemin ces films que tu aurais tant de bonheur à retrouver.
Regarder « vivre » des personnes chères à notre cœur qui ne sont plus là, provoque une émotion un peu douloureuse, mais aussi bienfaisante, comme si le temps avait suspendu son cours… il faut juste se sentir prêt…
C’est pareil pour les albums photo…
Ma soeur a récupéré les vieux films de famille, et je ne sais pas ce qu’elle va en faire… j’ai récupéré des photos, et dès le début de l’année, je vais essayer de les faire « revivre », car des photos qui dorment dans un tiroir, c’est si triste…
Belle journée, bises, et merci pour ce voyage alphabétique, si passionnant…
Oups, désolée, en me relisant « mette » sur ton chemin… et non pas « mettent »…
Ne t’inquiète pas pour les fautes, je viens d’en corriger une énorme dans cet article qu’il me semblait pourtant avoir relu avec attention 😉 Et il doit encore en rester !
Mon conseil, ce serait de numériser tout ça, films et photos, pour pouvoir le partager. C’est un héritage à laisser aux générations futures et petit à petit, les branches s’éloignent inexorablement…