Le dernier objet de cette série est à la fois un trésor et une frustration. Car tout ce que je sais de cet appareil photo, c’est qu’il vient de la rue Henri Pauquet, ce qui soulève bien des questions sans réponse.
Ah ! C’est un dernier tour de passe-passe, aussi, car je ne crois pas du tout qu’il y ait de zoom dans l’histoire d’aujourd’hui. Mais puisqu’il y est question de photographie, tous les moyens sont bons pour attribuer les lettres retorses de l’alphabet, y compris les associations de contexte les plus anachroniques.
La boîte qui le contient a bien souffert mais l’appareil lui-même me semble dans un bel état, au moins pour ce que je peux en juger en n’y connaissant rien. Il paraît complet et ne pas avoir subi de chocs particuliers.
Je pense qu’il a été conservé dans de bonnes conditions. Chez nous en tout cas, j’ai toujours vu sa boîte derrière une vitre de la bibliothèque, posée à côté de la danseuse autrichienne.
Une fois déplié, il est plein de jolis détails : le petit pompon rouge qui permet d’actionner une roue dentée sur le côté de l’objectif, le bouton à système au bout d’un long cordon et sur lequel une simple pression écarte la fine lame de métal située derrière cette roue (comment est-ce possible, d’ailleurs ? Mystères de la technique…), la bulle du niveau, la barrette gravée jusqu’à l’infini, l’étiquette de la marque sur le dessus du boitier, si fine qu’on la dirait faite d’ivoire…
J’admire aussi le mécanisme qui permet de déplier un soufflet de cuir rouge à sept plis pour avancer le bloc de l’objectif. Le cuir a gardé toute sa souplesse, le bois me semble être de l’acajou et le métal majoritairement du laiton.
Ce qui m’intrigue, c’est que je n’identifie pas de photos qui aient pu être prises avec cet appareil. ; ou que je manque d’éléments pour les repérer, car je ne sais même pas le format qu’on peut en obtenir. Ceci dit, à part les photographies prises par un professionnel, je n’en ai guère qui datent d’avant les années vingt ou trente et celles-là, je pense que ce sont celles qui ont été conservées à Paris dès que Maurice et Georgette y ont emménagé, après la première guerre mondiale.
Alors les photos plus anciennes auraient-elles disparu dans l’épisode allemand ? J’imagine qu’après la mort de Juliette, le départ d’Eugène pour le Kremlin-Bicêtre s’est fait assez rapidement et dans des conditions difficiles, vu le contexte de l’Occupation. La priorité n’a peut-être pas été à emporter les photos ou peut-être avaient-elles déjà disparu lors de l’installation à l’arrache des nouveaux maîtres des lieux.
Quelle taille font les photos prises par cet appareil ? Celle du verre dépoli qui se trouve à l’arrière et qui mesure 12 centimètres par 9 ?
Ou celle des plaques à volet coulissant que je n’ai pas osé trop actionner et dont je n’arrive même pas à voir comment elles se montent sur l’appareil ?
Par ailleurs, je vois mal Juliette et Eugène se lancer dans cette innovation que représentait encore la technique de la photographie pour le grand public… ni dans les frais que ça occasionnait. Il se raconte qu’Eugène comptait chaque jour à Juliette –qui avait pourtant été patronne de son propre commerce !- l’argent du pain et qu’elle lui en rendait la monnaie au retour de la boulangerie. La légende familiale veut que ce soit sur la base de ces petits sous amassés que le couple aurait peu à peu fait bâtir les maisons laissées dans leur héritage.
Mais probablement ai-je d’eux une image biaisée puisque je les vois par les yeux de leur petite-fille qui elle-même ne les a connus qu’à un âge déjà avancé. Et puis les portraits de l’époque nous restituent souvent une image assez sévère de nos ancêtres. D’ailleurs, peut-être est-ce l’un de leurs trois garçons qui s’est pris de passion pour l’art photographique ?
Enfin, toutes ces questions auxquelles, une fois de plus, je n’ai plus de moyen d’obtenir des réponses… Il faut croire que j’aurais dû bien plus tôt m’intéresser en détail à tous les objets de ce challenge.
À défaut d’en connaître davantage par le récit familial, j’ai évidemment cherché un peu de documentation à partir des éléments tout de même très précis relevés sur la chambre. Oui, car ce genre d’appareil utilisant des négatifs sur plaques de verre s’appelle une chambre photographique. C’est le seul qui existait jusque vers les années 1890, quand ont commencé à apparaître des appareils plus légers donc plus maniables et surtout plus simples d’utilisation.
Hermagis est bien identifié dans les annuaires dès 1856 où il reprit la maison Wallet, spécialisée dans fabrication d’instruments pour la photographie et qui avait alors sa vitrine au Quai de l’Horloge.
Mais dans l’histoire de cette maison, les informations gravées sur l’appareil le situent après 1895. Car dans une communication d’avril 1896, la Société des Sciences Industrielles de Rouen fait une étude très sérieuse du nouvel objectif, dit Aplanastigmat extra-rapide présenté aux amateurs de photographie, et livré au commerce par la maison française d’optique Fleury-Hermagis pendant le second semestre 1895.
Voilà tout ce à quoi je peux aboutir sans rien connaître dans ce domaine. Je ne désespère pas que mon appareil puisse un jour être examiné de près par une personne versée dans l’histoire et la technique de la photographie pour en apprendre davantage. C’est aussi un peu dans cet espoir que j’ai placé dans cet article toutes les informations qu’il porte.
Évidemment, lorsqu’on est habituée à l’appareil numérique dégainé en un instant et qui capture l’instant sans contrainte, il parait bien encombrant, celui-ci qui pèse largement plus d’un kilo et mesure trente centimètres une fois entièrement déployé. Ceci dit est-ce toujours une bonne chose que d’appuyer sur le déclencheur sans un instant de réflexion préalable ? J’imagine que la réponse est contenue dans la question.
Et puis peut-être que la chambre photographique des arrière-arrière-grands-parents n’est pas si volumineuse, finalement, comparée à celle qui fut conçue vers 1905 pour photographier un train tout entier dans l’Illinois…
Le train de la Alton Limited capturé par George R. Lawrence – Bibliothèque du Congrès
34 commentaires sur “Z comme… Zoom sur l’appareil photo”
Merci pour ce très beau challenge ! J’ai autant goûté la belle collection d’objets que la qualité d’écriture des articles. J’espère que vous réservez quelques pièces à vous pour les transmettre aux générations suivantes, qu’elles soient vecteurs d’émotions à leurs tours…
Mélanie – Murmures d’ancêtres
Merci Mélanie 😉 Pour ce qui me concerne… je laisserai bien trop de choses à mon neveu, avec la passion que j’ai pour les objets, il faudra plutôt qu’il élague ! Et puis il récupèrera aussi ces quelques objets qui viennent de nos ancêtres communs…
Un monument cet appareil photo. Il m’évoque les photographes disparaissant sous leur cache noir!
Quel régal ce challenge, aussi passionnant que celui de l’année dernière. La présentation des objets très intéressante, mais l’évocation chaleureuse de la famille à travers eux tout autant. Merci pour ces bons moments de lecture;
C’est ce qui motivait le choix de ce thème, sauver les souvenirs familiaux récents. Car en bonnes généalogistes, nous sommes toujours à l’affut de trouver ces anecdotes un peu plus personnelles dans la vie de nos ancêtres mais nous, que laisserons-nous ?
Merci Sylvaine pour ce très joli #ChallengeAZ agréable à lire dont la plupart des billets ont évoqué des objets qui me parlent aussi.
Merci Marie, je suis assez touchée de voir que ces souvenirs personnels ne le sont pas tant que ça, en tout cas ils sont assez partagés, sous une forme ou sous une autre.
De nouveau une belle histoire familiale, j’espère que ce Z ne sera pas la fin de vos publications toujours très intéressantes. Merci
Merci ! Non bien sûr… Je vais un peu laisser retomber la pression mais les publications ici vont reprendre, c’est sûr !
J’ai lu tous vos billets plus intéressants et émouvants les uns que les autres avec cette petite pointe d’excitation que l’on éprouve quand on déballe le papier d’un cadeau pour découvrir ce qu’il contient. Je vous remercie pour cette deuxième saison du défi AZ qui a fait remonter à la surface de vieux souvenirs. C’est bien dommage que l’alphabet ne compte que 26 lettres mais le train de ce dernier billet n’indiquerait-il pas une nouvelle aventure en 2023 ?
Oui, bien sûr qu’on pense déjà au prochain train ! J’ai un projet un peu plus ambitieux que je n’ai pas eu le moral d’attaquer cette année mais il revient à l’ordre du jour pour le challenge 2023… Reste à ne pas trop tarder à l’attaquer !
Merci de ces billets journaliers qui ponctuaient la fin de journée. J’ai laissé les romans pour aller et venir dans ton passé familial, en transposant dans le mien. Cela va me manquer.
Je me suis rendu compte pendant tout ce mois que les souvenirs sont effectivement très évocateurs, sur certains points nous avons un peu toutes les mêmes.
N’ayant jamais vu ce genre d’APN ancien (lol), je suis plutôt dans la découverte des détails de ton article. Un bel objet à garder et à faire examiner en effet.
Nous voici à la fin… Tes parutions quotidiennes vont me manquer …. A bientôt pour d’autres aventures familiales ou sur la mercerie, broderie etc…
violine
Dimanche je reprends un rythme un peu plus sérieux sur Ouvrages de Dames 😉
Merci Sylvaine , tous ces récits sont passionnants . On ne se lasse jamais de vous lire .
Merci de m’avoir accompagnée fidèlement pendant tout ce challenge, Michèle, c’est une grande motivation de se savoir lue.
Merci encore Sylvaine pour ces passionnantes lectures !
Ça va me manquer
Dis tu veux pas recommencer ?allez! Même dans le désordre
Même sans thème particulier
Une histoire par jour, ce rythme me va très bien! Et je suis sûre que je ne suis pas la seule 😇
Peut-être que j’en referai quelques un, de ces souvenirs, va… j’ai déjà quelques idées 😉
J’ai beaucoup aimé votre challenge. Il m’a fait rêvé et donner des idées ! Merci.
Merci Christiane, je pense que nous sommes effectivement de plus en plus nombreuses à évoquer les souvenirs familiaux plus récents pour ne pas les laisser perdre. Car ça aussi, c’est de la généalogie.
Nous voici au terme de ce fameux challenge.
Travail minutieux requérant patience ,sensibilité et imagination .
Le résultat : un billet inédit chaque matin dont le sujet fait immanquablement remonter les souvenirs de chacune.
Soyez remerciée Sylvaine, de ces bons moments passés à vous lire .
Cette année j’avais la facilité de n’avoir quasiment pas de recherches à faire, mais toute la difficulté résidait dans l’écriture qui m’a fait effectivement me tenir un peu sur le fil du rasoir pendant tout ce mois.
Merci Sylvaine pour ce challenge passionnant de bout en bout. Des récits tout en finesse et joliment illustrés, un bel hommage à une famille aimée. Cette lecture matinale va me manquer.
Puis-je dire que malgré le soulagement d’avoir mené l’affaire à bien, je me suis tout de même sentie un peu perdue, ce matin, de ne pas avoir à aller remplir le tableau Généatech ?
Bravo pour avoir conclu ce challenge de toute beauté. J’adore le clin d’oeil à cet énorme appareil photo en fin d’article. Les dernières lettres de l’alphabet ne sont pas faciles à combler, vous l’avez fait avec virtuosité – merci pour l’ensemble!
On a pris l’habitude de tricher un peu pour les lettres difficiles, finalement il y a toujours moyen de s’en sortir par une pirouette 😉
Magnifique objet qui conclut un magnifique challenge ! Bravo et merci.
Merci Raymond, je vais maintenant pouvoir aller lire les autres challenges !
Nous voilà à la fin de vos récits , ce fut certainement, un véritable challenge pour vous, pour raconter tous ces articles.
Soyez vraiment remerciée, de belles découvertes pour ma part et encore ce jour.
J’espère que vous trouverez des personnes compétentes pour répondre à vos questions…
Les photographies familiales sont de magnifiques souvenirs.
Très bonne journée,
Oui, un challenge, mais je suis très contente de l’avoir mené à bien, j’y tenais vraiment. Merci de m’avoir lue tout au long de ce mois.
Nous voilà déjà à la lettre Z 😥 j’ai parcouru avec beaucoup d’intérêt vos récits. Merci Sylvaine ! Ce dernier nous rappelle ce qu’était la photographie d’une époque pourtant pas si ancienne, alors qu’aujourd’hui la plupart d’entre nous ont délaissé les appareils photo pour le téléphone que nous avons toujours sous la main… sans parler des problèmes de pellicules qu’il fallait se procurer ! Mais avons-nous le même plaisir à regarder nos photos sur nos ordinateurs ?
Il est surtout beaucoup plus facile de les partager, c’est le gros avantage ! Ici le fait d’avoir numérisé toutes les photos permet de les communiquer à tous les membres de la famille.
J’avoue que je serais bien incapable de répondre à tes questions… je sais que mon père avait un appareil photo Voigtländer, qui venait de son père, et que ma soeur a récupéré… je n’ai hélas jamais posé la question pour savoir comment mon grand-père était entré en possession de cet appareil, qui devait coûter un bras à l’époque…
Dans les photos plus anciennes, il y en a une bonne partie prises chez le photographe (bébés, première communion, soldat allant partir pour la 1ère guerre mondiale), mais aussi quelques photos de réunions de famille… l’appareil avec lequel celles-ci ont été prises n’est pas parvenu jusque moi…
J’espère que quelqu’un pourra répondre à tes questions « techniques »…
Belle journée, bises
Même situation, alors je penche plutôt pour un des garçons. Je n’ai pas trop creusé la question pour l’étayer mais oui, je pense que la dépense était conséquente, surtout pour ce qui était plutôt considéré comme une frivolité.