Il en va de la Nouvelle-Orléans comme de tous les autres lieux : quand on y débarque pour de nouvelles recherches, le premier souci est d’y prendre ses repères, de s’approprier la ville et, surtout pour nous généalogistes, de décrypter son évolution à travers le temps.
Les ressources dont je me suis servie pour situer mes gens à la Nouvelle-Orléans sont multiples. Le point de départ est bien sûr de récupérer leur adresse : elle est souvent mentionnée dans les actes, on peut l’identifier dans les recensements mais aussi dans les annuaires de la ville, une véritable mine dont la France ne dispose pas sous cette forme pour le XIXe siècle .
À nouveau lieu, nouvelles méthodes : pour aller plus loin et tenter de me représenter leur lieu de vie, j’ai utilisé des ressources inédites pour moi comme les plans des assurances contre l’incendie, le site de l’évaluation foncière ou l’étude sur les propriétés du Vieux Carré.
Il est tentant ensuite de profiter des moyens modernes pour voyager virtuellement dans les rues de la ville, en espérant y trouver les vestiges des lieux où ils ont vécu.
Décrypter la ville
Environnée d’eau, La Nouvelle-Orléans se développe en rayonnant autour de son cœur historique posé au bord du Mississippi. Il correspond à la ville coloniale bâtie par les Français, dont on retrouve déjà le tracé, presque comme il apparaît aujourd’hui, sur cette ancienne carte de 1725.
Puis au fur et à mesure de son développement, elle se structure autour des bayous qui l’irriguent, vite supplantés au XIXe siècle par des canaux bien plus efficaces pour le passage des bateaux.
Au début, l’urbanisation s’étend souvent par lotissement des plantations qui jouxtent le Vieux Carré. Nous peinons à le croire avec nos villes françaises si biscornues, mais pour les États-Unis, le tracé des rues à La Nouvelle-Orléans apparaît encore comme fort désordonné ; car les promoteurs ont loti chaque propriété sans se concerter ni définir un plan d’ensemble bien droit et régulier. Ces angles dans les rues, quel bazar !
La structuration des rues
Le Vieux Carré, qu’on appelle aussi le Quartier Français, est intégralement classé National Historic Landmark ; il constitue donc un espace architectural à la fois très protégé et exceptionnellement bien documenté. C’est une chance d’avoir des adresses à y chercher car on a davantage de probabilités d’y retrouver, plus ou moins dans leur état d’origine, les maisons dans lesquelles ont vécu nos ancêtres et de pouvoir suivre leur histoire. Dès qu’on en sort, c’est beaucoup plus aléatoire…
Il est délimité par le fleuve, Canal Street à gauche, Rampart Street en haut et Esplanade Avenue à droite.
La numérotation des rues démarre à partir du fleuve quand elles lui sont perpendiculaires et croît au fur et à mesure qu’on s’en éloigne.
Pour les rues dont le tracé suit le Mississippi, la numérotation démarre à partir de l’épine dorsale de Canal Street avec à sa gauche la partie sud de la ville et à sa droite la partie nord. Un certain nombre de rues conservent leur nom des deux côtés. Dorgenois Street par exemple sera North Dorgenois à droite de Canal Street, et South Dorgenois à gauche. À partir du moment où cette normalisation a été adoptée, c’est important de savoir où on se trouve par rapport à Canal Street car la numérotation recommence de chaque côté. On aura ainsi un 217, North Dorgenois St et dans l’autre sens, un 217, South Dorgenois St.
L’évolution de la numérotation
Cependant, dans la seconde partie du XIXe siècle , la numérotation des rues n’est pas encore systématique. Dans mes actes par exemple, je ne trouve souvent que des adresses imprécises qui repèrent une façade d’îlot en indiquant seulement la rue dans laquelle elle se trouve et les deux rues perpendiculaires entre lesquelles elle est située. Mais de quel côté de la rue se trouve ma maison ? À quelle hauteur dans l’îlot ? Mystère…
Au même moment, on trouve déjà des maisons numérotées dans l’annuaire de la ville, mais le système coexiste encore avec des localisations plus approximatives. Ainsi ce mélange en 1877 chez mes Lombard : Annette habite de manière bien floue sur Rousselin alley entre Aubry et St Bernard avenue alors que la boutique de Jean Baptiste Perrissin est précisément localisée au 71 St Ann St, ce qui me permettra de la situer sans risque d’erreur.
Bref il fallait y mettre bon ordre, ce que se charge de faire la réorganisation de 1894 avec la nouvelle numérotation décimale. Désormais, quel que soit le nombre de ses habitations, chaque façade d’îlot se voit attribuer cent numéros, de manière à obtenir un adressage parfaitement aligné dans les rues parallèles. Ainsi on sait toujours à quelle hauteur de la rue on se trouve ou à laquelle on doit se rendre.
Localiser les adresses anciennes
Cette réforme a facilité le repérage dans la ville mais elle nous impose de jongler un peu pour convertir les anciens numéros et tracer jusqu’à aujourd’hui les habitations de nos ancêtres.
Exemple avec le 83 Bourbon St où est né Émile Louis Lombard le 1er février1881
• pour savoir à quelle hauteur de Bourbon St se trouvait le 83, j’utilise un outil très pratique proposé par la Bibliothèque Publique de la Nouvelle Orléans et qui fournit la correspondance entre anciens et nouveaux numéros. À partir de cet index, je m’oriente vers la page des rues en B et je constate que le 83 Bourbon St se trouvait sur le côté gauche entre Conti et St Louis, ce qui correspond désormais à la séquence des numéros attribués au quatrième îlot à partir de Canal St.
• dans la collection des plans Sanborn, dont je vous ai expliqué la manipulation ici, je récupère le secteur qui m’intéresse, cartographié en 1885, et je localise le 83 Bourbon St dans l’îlot 70.
• je grimpe dans mon satellite personnel et je le positione sur la partie de la rue qui m’intéresse. Pour ce faire, j’ai installé Google Earth, téléchargeable ici.
• en comparant le lotissement des propriétés sur la vue satellite, on voit qu’il est relativement similaire et que le 83 de l’époque correspond bien au 411 dans la numérotation décimale. On constate simplement que le bâtiment a été rallongé en gagnant sur la cour qui séparait à l’origine l’habitation principale du bâtiment arrière, et qu’il a été par la même occasion surélevé par l’ajout d’un bloc en retrait de la rue.
• un tour par le site du Vieux Carré Survey, dont je vous parlerai bientôt plus en détail, nous confirme que le bâtiment du XIXe siècle, où à vécu notre famille, subsiste effectivement derrière la façade néo-espagnole datant, elle, de 1925.
Exemple avec le 104 Orleans St où a vécu Émélie Lombard avec ses deux garçons quand elle est devenue veuve :
• toujours avec l’outil proposé par la Bibliothèque, je localise le 104 à la limite du Vieux Carré, entre Burgundy et Rampart St, sur le côté gauche. Cette fois-ci, le côté gauche s’entend en partant du fleuve puisque Orleans St est perpendiculaire au Mississippi.
• sur le plan Sanborn de 1885, on localise le 104 Orleans St dans l’îlot 101 et de la même manière, la comparaison des structures avec la vue satellite moderne me permet de faire correspondre le cottage où étaient à l’époque recensés les trois ménages avec la numérotation moderne, de 1024 à 1028.
• avec la nouvelle numérotation, je peux aller récupérer la documentation concernant la maison sur le site du Vieux Carré Survey qui m’indique que la maison a été construite en 1840. Je sais ainsi que la maison actuelle est bien celle dans laquelle ont vécu mes gens et qu’il s’agit d’un cottage créole avec la traditionnelle cuisine détachée en fond de cours pour éviter la propagation des incendies.
Exemple avec une adresse en dehors du Vieux Carré, la maison de Frédéric où est mort son père, Jean Baptiste Lombard, en 1852
L’acte de décès de Jean Baptiste nous a appris qu’en 1852, Frédéric habite in Orleans street between Villere and Robertson streets. C’est le plan Norman de 1845, disponible sur le site de la Bibliothèque du Congrès, que je vais utiliser pour repérer cette adresse située quelques îlots à l’ouest du Vieux Carré.
Car cette fois-ci, le quartier a été tellement chamboulé que je ne pourrai malheureusement retrouver aucune trace de la maison où Jean Baptiste a rendu son dernier soupir… En dehors du centre historique de la ville, le bâti est beaucoup moins préservé et évidemment, beaucoup moins documenté.
Je peux de la même manière que précédemment chercher des précisions sur le plan Sanborn mais la localisation sans numéro dans l’acte de décès ne me permet pas de situer avec exactitude la maison où habitait Frédéric : à quelle hauteur de l’îlot se situait-elle ? Était-elle à droite ou à gauche de la rue ? De plus, les plans incendie ne sont disponibles en ligne qu’à partir de 1885, ce qui est un peu tardif pour une adresse de 1852.
D’ailleurs sur le plan Norman de 1845, le marché couvert de Trémé s’arrête à la hauteur de Villeré St, alors que sur le plan Sanborn de 1885, il a été prolongé jusqu’à Robertson St, c’est-à-dire sur la portion de la rue d’Orléans dans laquelle habitait Frédéric en 1852. Il est donc probable, ou tout au moins envisageable, que la consistance du bâti aux alentours ait été modifiée au cours de ces trois décennies, ce qui me laisse peu de références plausibles pour pouvoir décrire de manière plus étayée l’environnement dans lequel est mort Jean Baptiste.
Et oui… Un acte plus ancien situant les lieux avec davantage de flou, une adresse en dehors du Vieux Carré, deux paramètres qui rendent la recherche moins facile !
Mais on voit que la démarche générale pour retrouver une maison en milieu urbain est la même qu’en France : récupérer son adresse de l’époque puis suivre la numérotation dans le temps, soit pour s’assurer que le numéro n’a pas changé, soit pour le faire correspondre avec sa version moderne. Une fois que la localisation est certaine, si l’on veut pouvoir s’imaginer le lieu de vie de nos ancêtres, il faut encore étudier le bâtiment d’aujourd’hui pour savoir s’il s’agit de la maison ancienne ou d’une reconstruction plus récente.
Les ressources pour le faire sont différentes évidemment, mais elles sont très riches aussi à la Nouvelle-Orléans.
Vers l’article suivant S comme Slavery
Pour aller plus loin
Preservation Resource Center, Evolution of New Orleans’ Historic Architecture and Neighborhoods, Part I and Part II
Street guide au Soard’s New Orleans City Directory de 1895
Les changements des noms de rues entre 1852 et 1938 sur le site de la Bibliothèque Publique de La Nouvelle-Orléans
20 commentaires sur “R comme Repérage”
Tu as toute mon admiration pour la qualité de tes recherches, j’avoue que je serais un peu perdue… en plus, tu as le don de rendre toutes ces recherches passionnantes… merci pour le partage.
Belle journée, bises
Nini, ça m’amuse de voir comment je raconte ça maintenant, mais si tu savais comme j’ai pataugé avant de comprendre comment ça fonctionnait !
Où j’en viens à rêver que mes ancêtres ayant traversé l’Atlantique se soient posés à la Nouvelle Orléans tellement vos recherches et les « tutos » qui en découlent sont riches et extrêmement bien expliqués 🤗
Ça me fait plaisir, Béatrice 😉 Il y a des éléments qui sont reproductibles ailleurs aux États-Unis, comme les plans Sanborn du P, par exemple, ou les annuaires dont je vais bientôt parler.
Excellent comme tous vos autres billets! Bon dimanche.
Merci Annick 😉
et voilou notre sylvaine se glissant dans toutes ces rues, plans et recherches. Cela a dû être très motivant de continuer ainsi avec toutes ces documentations existantes. Des précisions qui peuvent nous aider et nous éclairer dans nos recherches même en France
violine
Ça a été un vrai bol d’air quand on était enfermé !
Vous faites un formidable travail de recherches pour retrouver vos gens, c’est fantastique.
Vous êtes une passionnée.
Bon we
En réalité, je n’avais pas du tout planifié ça, je pensais vraiment ne pas trouver grand chose, un petit billet et hop ! ça aurait été bouclé. Je n’ai même pas encore trop compris comment j’ai été prise dans cet engrenage 🙂
Superbe recherche très bien expliquée, merci
J’ai pas mal tâtonné en essayant de comprendre tout ça dans les débuts, alors si ça peut servir, c’est avec plaisir.
Woaw….quel travail de fourmi tu as fait là! Bravo comme d’habitude et chapeau (très) bas xxx
Merci Madame 😉
Bonjour Sylvaine
Merci de toutes ces précisions. Pour le moment, je n’ai pas de recherches à faire en dehors de la France, mais cela viendra peut être. C’est très instructif. Merci. Bon Samedi tout gris. Gros bisous. À Lundi pour la suite.
En France aussi, il y a beaucoup de possibilités de travailler autour des lieux, comme je l’avais fait pour le Ver à Soie rue Saint-Denis, par exemple, ou encore pour les adresses de Sajou. C’est une des composantes de la généalogie que j’ai toujours aimée.
Joli tutoriel ! Il faudrait que je m’attelle à un tel chantier pour mes ancêtres urbains (ceux de Reims notamment), ces recherches ont vraiment l’air passionnantes !
C’est aussi passionnant en milieu urbain qu’en milieu rural. L’histoire des lieux, c’est mon dada et je pense que c’est un élément incontournable pour se glisser dans l’histoire de nos gens.
Une vraie détective « privée »!
On vous suit toujours,c’est passionnant.
N’avez-vous aucune photo de cette branche familiale ?
Non, malheureusement. J’espère en trouver avec des cousines américaines, qui sait ? Mais c’est une branche de la famille dont l’histoire s’était complètement perdue et que je n’ai retrouvée que par la généalogie.