H comme Hourra ! Vive la mariée !

Trois mois ne se sont pas écoulés depuis que la famille Lombard a débarqué à la Nouvelle-Orléans mais ces quelques semaines ont été intensément remplies. Heureusement Georges et Marie Anne, installés de longue date, sont là pour aider les nouveaux arrivants à s’acclimater. Car il a fallu se familiariser avec la ville, trouver un logement, un travail, et ce n’est pas une mince affaire si loin de chez soi.

Mais surtout, Émélie a rencontré Joseph ! Partie célibataire de Seloncourt, elle va être la première, ce 19 janvier 1850, à accomplir un acte symbolique d’enracinement dans sa nouvelle patrie en se mariant sur le sol américain.

Il était certainement capital pour elle de s’établir très rapidement afin de ne plus être à la charge de sa famille. Et pour une femme, en ce milieu de XIXe siècle, cela signifie encore le plus souvent fonder un nouveau foyer, quitter celui de son père pour rejoindre celui de son mari.

C’est aussi pour elle une manière de tourner la page sur le voyage aigre-doux pour la Louisiane. À peine un mois avant de se mettre en route, devoir enterrer sa mère au lieu de partir avec elle, voilà qui a dû tristement ternir l’excitation du voyage. Jean Baptiste est parti en veuf, Émélie en orpheline, et c’est loin du rêve d’avenir qu’ils s’étaient bâti en famille.

Le mari qu’elle s’apprête à prendre aujourd’hui a cinq ans de plus qu’elle et il est peintre en bâtiment. Lui aussi doit se trouver drôlement dépaysé sur les rives du Mississippi, après avoir quitté ses Alpes suisses et le village d’Aquila où il est né, trente ans auparavant !

Émélie Lombard et Joseph Cima vont bien sûr se marier suivant la procédure américaine. Unité de temps et de lieu : au cours de cette journée du 19 janvier 1849, c’est le même juge de paix qui va recueillir le consentement du père de la fiancée, délivrer aux futurs époux la licence les autorisant à s’unir et finalement, c’est encore lui qui dressera l’acte de mariage.

Pour la première étape, c’est donc Jean Baptiste qui est mis à contribution. Émélie a beau avoir vingt-cinq ans, il doit consentir au mariage de sa fille et c’est une grande chance pour moi. Car c’est la seule occasion que j’aurai de trouver une trace écrite de mon ancêtre voyageur.

Consentement de Jean Baptiste Lombard – Source : FamilySearch

Oh ! Une trace bien sommaire ! Jean Baptiste est illettré et ne sait pas signer son nom. Il se contente donc de tracer une croix en bas du formulaire officiel : Jean Baptiste Lombard, his mark. Et pourtant, cette simple marque dessinée de sa main et retrouvée de l’autre côté de la terre m’émeut au-delà du raisonnable.

Ensuite on passe au marriage bond, un engagement qui garantit la régularité de la future union. Car dans ce pays où les nouveaux arrivants sont légion, il est difficile de s’appuyer sur la publication des bans pour détecter un éventuel empêchement au mariage : il serait bien commode d’en profiter pour laisser derrière soi un ménage dont on s’est lassé et se réinventer une nouvelle vie de ce côté-ci de l’Océan.

Marriage bond – Source : FamilySearch

La délivrance de la licence est donc conditionnée à l’engagement financier du couple -et comme ici, le plus souvent, du futur époux au nom du couple- garantissant qu’il n’existe pas d’obstacle légal à son mariage, comme par exemple une union préexistante ou un lien de consanguinité. L’obligation, variable en fonction de la situation du couple, est fixée à un niveau assez haut pour la rendre dissuasive et sera levée si aucun obstacle n’est révélé dans les deux ans qui suivent le mariage. Une sorte de Parlez aujourd’hui ou taisez-vous à jamais mais qui resterait suspendu deux ans, pour compenser l’éloignement.

Cet engagement financier est sécurisé par un tiers de confiance qui se porte caution, généralement un membre de la famille ou un ami proche. Pour Joseph, ce sera Louis Masse qui tient un café-épicerie dans le Quartier Français, au coin d’Orleans et Burgundy streets, à peine à deux-cent mètres de chez lui. Il accepte d’être solidaire pour le versement des cinq-cents dollars qui sanctionnerait un mariage éventuellement illégal.

Localisation Coffee house de Louis Masse dans le Vieux Carré

Toutes ces formalités accomplies, le juge Pecquet officialise le mariage d’Émélie et de Joseph. Je n’ose pas m’en plaindre étant donné la richesse de mes trouvailles en ligne, mais malheureusement, l’acte qui m’intéresse est partiellement déchiré ce qui rend plus difficile l’interprétation des témoins. J’ai surtout passé pas mal de temps à me creuser la tête pour essayer de le décrypter… avant de réaliser qu’une partie ne lui appartenait pas mais provenait du mariage enregistré à la page précédente ! On perd beaucoup d’agilité quand on fait des recherches dans une autre langue que la sienne.

Acte de mariage d’Émélie Lombard et de Joseph Cima – Source FamilySearch

Par devant moi; Paul Pecquet ,Troisième juge de paix de la Paroisse d’Orléans, État de Louisiane, ont comparu en personne Joseph Cima et Emilie Lombard, tous deux domiciliés en la Paroisse d’Orléans et, après avoir satisfait aux exigences de la loi et avoir obtenu de moi leur licence, je les ai, de leur libre et entière volonté et consentement, unis et les unis maintenant en mariage et, par les présentes, les déclare mariés et qu’ils sont désormais et seront maintenant mari et femme.

Fait et passé devant moi en la ville de la Nouvelle-Orléans, État de la Louisiane, ce vingt-neuvième jour de janvier de l’année de notre seigneur mille huit cent cinquante, en présence de Louis Masse, Victor Seré et Ang……………, témoins majeurs domiciliés en la ville de la Nouvelle-Orléans. En foi de quoi les dits comparants, les dits témoins et moi le dit juge avons signé de nos noms les jour, mois et an que dessus.

Parmi les témoins, Victor Seré ne m’intéresse pas car il signe à tous les actes, une sorte de témoin institutionnel, en quelque sorte. Louis Masse, le garant et ami de Joseph, est bien sûr resté pour le mariage lui-même. La présence de George Lombard, le frère aîné d’Émélie, est révélée par sa signature, fort lisible. Elle est surtout intéressante car, comme de multiples autres signes, elle confirme une supposition qui était presque une évidence : George a inspiré l’émigration du reste de la famille et la fratrie est logiquement restée liée par la suite.

Et puis tous les autres, que je devine massés dans le bureau du juge. Jean Baptiste est resté, bien sûr, Marie Anne a sûrement accompagné George, de même que Frédéric est venu avec Annette. Quelques petits se sont faufilés, qui ont promis d’être sages ; mais les plus turbulents, on les a laissés dans le couloir sous la surveillance d’un grand.

Le mariage civil – Albert Anker, 1887

Une fois qu’on s’est mis en règle avec le juge, on part en cortège pour la Seconde Église Presbytérienne qui se trouve à l’angle des rues Prytanée et Calliope. La famille Lombard y a rapidement pris ses habitudes depuis son arrivée en Louisiane, et c’est là que le pasteur célèbrera enfin le « vrai » mariage.

Après ce jour, Émélie et Joseph vivent quelque temps encore dans St Ann Street, au cœur du Vieux Carré où viendra au monde leur premier fils, onze mois plus tard. L’administration américaine du XIXe siècle apparait plus conciliante qu’en France : il faudra quasiment un mois à Joseph pour venir déclarer la naissance du petit Alfred, qui remonte au 19 décembre 1850.

Acte de naissance d’Alfred Cima – Source : FamilySearch

Entretemps, on a changé d’année et le couple a quitté le Quartier Français où l’enfant est né, pour venir s’installer sur Tonti street, à deux kilomètres de là en remontant vers le lac Ponchartrain et surtout… à quelques pas des grands frères, George et Frédéric.

C’est dans ce quartier que la famille s’agrandira, changeant encore plusieurs fois de domicile. Un second fils, Émile, nait le 19 avril 1855, puis une petite fille, prénommée Émélie comme sa maman, deux ans plus tard. Mais d’elle, je n’ai de trace que par la mort qui l’emportera alors qu’elle est encore toute jeune fille.

Acte de naissance d’Émile Cima – Source : FamilySearch

Les Lombard sont arrivés depuis dix ans dans leur nouvelle patrie et Émélie est mariée depuis presque aussi longtemps quand leur environnement s’assombrit après l’élection d’Abraham Lincoln. La tension entre le Sud et le Nord, qu’ils sentaient monter depuis longtemps, connait une étape décisive dans les derniers jours de 1860, avec la déclaration de sécession de la Caroline du Sud. Elle est rapidement rejointe par les autres états esclavagistes, dont fait partie la Louisiane. Le 12 avril 1861, la rupture devient irréversible et la guerre civile est véritablement déclenchée quand les soldats confédérés montent à l’assaut du Fort Sumter.

Bataille de La Nouvelle-Orléans – Julian Oliver Davidson

L’armée de l’Union progresse vers le Sud et un an plus tard, le 1er mai 1862, le général Buttler entre dans La Nouvelle-Orléans à la tête de cinq-mille hommes sans rencontrer de grande résistance, ce qui épargnera à la plus importante ville de la Confédération les destructions subies ailleurs.

L’occupation va durer jusqu’à la fin de la guerre, en 1865. Mais elle a débuté depuis quelques jours seulement lorsque Joseph Cima perd la vie, à quarante-deux ans, le 12 mai 1862. Si la raison de ce décès ne nous est pas connue, on imagine en revanche aisément que cette période particulièrement troublée ne devait pas faciliter les démarches administratives. Émélie viendra ainsi très tardivement déclarer le décès de son mari, deux ans et demi après qu’il soit survenu, probablement au moment où cela s’avèrera incontournable pour mettre en ordre les affaires familiales.

Acte de décès de Joseph – Source : FamilySearch

Joseph est donc mort au printemps 1862 à l’asile pour veuves, que je n’ai pas su identifier précisément sous cette appellation parmi les multiples établissements charitables que comptait La Nouvelle-Orléans au milieu du XIXe siècle. Émélie y réside toujours en décembre 1864, ce qui suggère que le couple aurait pu y être logé parce qu’il y était employé. Mais il est possible aussi, par exemple, que l’asile ait simplement été le lieu où travaillait Joseph et ait logiquement accueilli sa veuve au moment où elle s’est brutalement retrouvée seule avec ses trois enfants âgés de cinq à douze ans.

Au printemps 1865, la reddition du général Lee à Appomatox sonne la fin de la guerre civile, à défaut du retour à l’apaisement dans les états du Sud qui n’en ont pas fini avec les stigmates et les conséquences de l’esclavage. Neuf ans plus tard, je retrouve Émélie avec ses trois enfants ; ils sont revenus dans leur quartier d’avant guerre et habitent à seulement deux blocs de Bayou Road où ils vivaient en 1858. Ensemble ils resteront, aucun signe n’indiquant que l’un d’eux soit parti fonder son propre foyer.

Source : Soard’s Directory et TimesPicayune

Devenus adultes, Émile et Alfred travaillent tous les deux comme barmans, semble-t-il avec pas mal de stabilité notamment si l’on suit Émile : il est employé pendant dix ans par l’agent de la Sazerac House, qui commercialise en gros et au détail les cognacs de la marque produits en Charente. Puis il travaille encore dix ans pour Victor LeBeau, dans son saloon du quartier chaud de Storyville, avant de terminer sa carrière comme sommelier au Cosmopolitan Hotel.

Mais tous restent au nid auprès de leur mère et c’est la mort qui, petit à petit, va détricoter la famille. La cadette, Émélie, est emportée la première par la tuberculose à l’automne 1876, à peine âgée de dix-neuf ans. La courte vie de la jeune fille aura laissé comme seule trace l’acte de décès dressé sur la déclaration de son frère.

Acte de décès d’Émélie – Source : FamilySearch

Émélie et ses deux garçons redescendent alors au cœur de la ville, vers le Mississippi, et s’installent définitivement dans le Vieux Carré. Ils emménagent tous les trois au 104 de la rue d’Orléans, dans un de ces cottages créoles typiques du Quartier Français. Trois ménages y sont recensés en 1880 mais les Cima trouvent encore assez de place, dans leur partie de la maison, pour accueillir chez eux une pensionnaire, une irlandaise de 55 ans probablement satisfaite de se loger à bon compte grâce à cette cohabitation.

Le cottage du 104 photographié vers 1940. Source : Vieux Carré Survey

À l’été 1884, c’est à son tour Alfred qui meurt prématurément à l’âge de trente-trois ans. Après avoir eu la douleur de perdre deux de ses enfants, Émélie est victime deux ans plus tard d’une méningite foudroyante et laisse Émile seul, dernier maillon d’une famille sur le point de s’éteindre.

Il déménage alors vers la rue d’Iberville où il devient propriétaire. Il travaille toujours dans sa partie et l’année de son décès, le Soards’ New Orleans Directory, l’annuaire de la ville, le présente encore comme exerçant son métier de sommelier.

Avis de décès d’Émile paru le 21 avril 1923 dans The New Orleans Item – Source : Newsbank

Il a soixante-sept ans, une crise cardiaque l’emporte le 20 avril 1923 ; il rejoindra les siens, juste au bout de sa rue, dans le caveau familial du cimetière Saint-Louis #2.

Émélie est arrivée à La Nouvelle-Orléans plus de sept décennies auparavant. Mais malgré son mariage et ses trois enfants, ce n’est pas de son côté que je trouverai des cousins en terre américaine.

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