En mai 1940, lorsque la France se lança sur les routes, mes grands-parents qui étaient dépourvus du moindre moyen de locomotion furent parmi les derniers à rester sur place. Puis ils finirent par s’en aller grâce à un chauffeur de bus qui était venu chercher sa famille au village et les embarqua par la même occasion.
Comme tous les gens de la campagne, ils avaient des rapports ambivalents avec leurs animaux qu’ils aimaient pour les côtoyer et les soigner au quotidien, mais qui étaient malgré tout indispensables à leur nourriture. Au moment de partir sur les routes hasardeuses de l’Exode, on ouvrit les clapiers pour lâcher les lapins dans la nature mais mon grand-père avait les larmes aux yeux en étouffant ses oisons qui n’étaient pas assez autonomes pour survivre seuls.
Je me rappelle d’ailleurs que des décennies plus tard, ma mère et ma tante s’amusaient encore au souvenir d’un bon tour qu’elles lui avaient joué étant petites. Un jour de printemps, elles étaient accourues vers lui avec des airs de drama en lui hurlant qu’une poule s’était pris le cou dans le grillage ; lui qui ne supportait pas de voir souffrir ses bêtes était parti comme une fusée sans se méfier de la date… pour arriver au poulailler avec les deux petits chameaux pouffant de rire dans son dos en lui chantonnant son poisson d’avril.
Au retour, quelques mois plus tard, le poulailler et les clapiers retrouvèrent peu à peu leurs occupants. Puis les temps étant durs et tout complément de nourriture désormais impossible à trouver à l’extérieur, la famille se lança à engraisser son premier cochon. Il parut tout naturel de le baptiser finement Adolf, puisqu’aussi bien il était inéluctable qu’il finirait trucidé. Au moins ça…
Mais c’est qu’on l’aimait, notre Adolf ! Après chaque repas, les gamines allaient lui porter les épluchures et tout ce qui n’était pas réutilisable, en le gratifiant d’une petite caresse au passage. Le nom honni dont on l’avait affublé ne changeait rien à l’affaire : le jour où il fallut tuer le cochon, elles ne trouvèrent pas assez loin à s’enfouir sous les couvertures pour ne plus l’entendre crier pendant qu’on l’égorgeait.
Elles avaient tout de même retrouvé assez d’appétit pour ne pas snober les cretons à peine refroidis à la sortie du poêlon. C’était une période où les petits plaisirs ne courraient pas tant les rues pour qu’on pût se permettre de bouder celui-ci.
Après ce premier Adolf, tous les cochons de la famille continuèrent à s’appeler Adolf, à être pareillement câlinés par les filles de la famille… et à finir pareillement dans le grand saloir de grès vernissé avant d’arriver dans les assiettes.
Ce saloir est encore un objet qui a atterri chez moi après avoir fait étape chez mes parents. Il fait partie des choses dont ils voulaient se séparer en quittant leur maison mais que je n’ai pas pu me résoudre à sacrifier. Cependant, contrairement aux autres objets de ce challenge, il est à la fois terriblement encombrant et d’une utilité proche de zéro dans mon septième étage citadin.
Ma mère l’utilisait pour stocker les magazines et les gros catalogues de vente par correspondance, avec le désavantage que celui dont on avait besoin se trouvait immanquablement au fin fond du pot. Quant à moi, je cherche toujours à quoi il pourrait bien me servir ; mais comme ça fait vingt ans que je me pose la question, je pense que ce monstre de soixante litres et qui pèse pas loin de vingt-cinq kilos a encore de beaux jours devant lui.
Il a été fabriqué à Beugnies, à une grosse centaine de kilomètres au nord de Baslieux-lès-Fismes. Si j’ai pu avoir quelques doutes au déchiffrage de la localisation incrustée dans la masse, ils ont été vite dissipés en trouvant son village mitoyen de Sars-Poterie, si bien nommé,
Puis en poursuivant à peine dix kilomètres plus loin, on arrive à Ferrière-la-Petite au musée de la Cour des Potiers, implanté dans une ancienne usine de poterie et qui retrace l’activité de la région dans ce secteur. On peut notamment y admirer tout une série de petits frères au saloir des grands-parents.
La région est réputée pour travailler la technique du grès salé grand feu, importée de la Belgique voisine au XVIIIe siècle. Après tournage, les pièces passent par une seule cuisson à très haute température, pendant laquelle on balance du sel de mer dans le four. C’est le gaz produit lors de cette opération qui donne à la poterie son aspect brillant.
Beugnies elle-même comptait bien sûr ses propres usines de poterie qui s’enorgueillissaient précisément de produire des saloirs.
Certes j’en sais un peu plus sur le saloir des grands-parents Saucet. Mais ça ne résout pas ma préoccupation essentielle : qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire ?
20 commentaires sur “T comme… Tout est bon dans le cochon”
article que j’ai beaucoup de plaisir à lire
Merci Catherine, ça me fait plaisir.
Du confits de « petits bouts » ( de tissu) ?
Ok! je sors !
BONNE SEMAINE et MERCI
Non, non, reste 🙂 Oui, je crois bien que ça s’orientera vers tissus ou laine, en tout cas !
Effectivement, c’est un bel objet, mais à quoi pourrait-il te servir ?? j’avoue que je l’ignore… de là à le jeter… vu son histoire, j’aurais du mal…
Belle journée, bises
Et bien voilà, tu as compris ma malédiction 😉
Une belle histoire ce jour encore à la une de Passerelle !
Effectivement, bien encombrant en appartement……vous devez lui trouver une utilité, car il est en très bon état .
Pour conserver le couvercle qui fait son charme….un rangement…..linge à laver…..pelotes de laine…..tissus etc…….à ne pas ouvrir tous les jours !
Bon mercredi et à demain pour continuer l’alphabet ! Merci.
En plus, il est très propre à l’intérieur qui est vernissé aussi, il n’y aurait pas de problème pour que j’y stocke des choses relativement délicates.
Amusante l’histoire d’Adolf ! Concernant le saloir j’ai le même dans mon jardin, dans lequel je plante des fleurs… je le trouve joli et les fleurs s’y plaisent mieux que les viandes que mon Papa avait rapporté de Bretagne et tenté de conserver ! Je vais regarder ce qui est gravé sur le charnier afin d’en apprendre plus sur sa provenance mais pour l’instant il pleut trop. Sylvaine je me régale tous les jours avec votre abécédaire. Un grand merci.
Sous un climat doux, alors, Anne-Marie ? Je craindrais le gel…
Pas vraiment car ce saloir est dans notre jardin (région parisienne) depuis une quarantaine d’années et nous avons eu des hivers rudes jusqu’à -18 , je pense que cette poterie est plus résistante que les poteries actuelles ! Comme me disait ma maman « c’était mieux avant »…
À tenter, alors, peut-être dans un coin un peu abrité. J’aimerais bien trouver une solution qu me permette de conserver le couvercle, aussi.
Pauvres petits cochons….. , mais il faut bien se nourrir. Le saloir peut servir de cache pot à une grande plante dans une véranda ou sur une terrasse abritée. Lorsque vous aurez une maison , vous lui trouverez une place sans aucun doute.
Place ou pas, je crois bien qu’il déménagera avec moi, en tout cas 😉
Le saloir peut servir de porte-parapluies ou pour une collection de cannes….
On peut aussi y mettre les rouleaux de jeffitex, les grandes règles de couturière, etc…
La lecture de vos deux blogs est un régal.
Ce sera certainement plutôt pour le stockage des laines ou quelque chose comme ça à cause de son couvercle qui fait tout son charme. Mais c’est tellement pas pratique ! J’y mettrai des trucs que je n’ai pas à utiliser tous les jours, en tout cas 😉
C’est marrant, le premier truc auquel j’ai pensé, c’est stockage de laine. Mais Il faut dire que je suis assez obsédée du tricot 😉Et c’est drôle, car il y a qqs jours, j’ai retrouvé le saloir de mes parents (moins gros et moins ancien que le tien) abandonné depuis deux ans dans le jardin, et je me suis dit qu’il faudrait le rentrer pour évité qu’il ne s abîme. Donc je me trouve avec le même pb que toi🤔😝
Mais pourquoi donc le premier truc qui nous vient c’est la laine ?
Brave et gentil homme ton GP qui était sensible à ses animaux…! On ne peut pas en dire de tout le monde malheureusement. Adolf le(s) cochon)s)…ah ah…trop top. Et les fameux poissons d’avril d’antan…ça me rappelle tant de souvenirs de blagues….ma mère entre autre, qui avait mis une année du fil à coudre dans une pâte à crêpes et nous avait servi des bonnes crêpes pleines de fils en savourant à l’avance les têtes qu’on ferait à la première bouchée…
Quant à ton saloir, je n’ai pas d’idée en tête spontanément sauf le classique pot pour y mettre des fleurs ou plantes dans un jardin…je demanderai à ma soeur qui adore les puces et vieux objets et qui est une championne de la récup…
Je crois que c’est peine perdue dans mon petit 7ème étage. Mais j’ai bon espoir de le recycler en extérieur (à l’abri car cependant, car il souffrirait du gel) quand j’aurais une maison…
Le fil dans les crêpes, j’ai des images qui me viennent, là, excellent !