Une reconnaissance en pure perte

Ce mois-ci, Geneatech nous propose de plancher sur les enfants nés hors mariage. Nos généalogies ne sont malheureusement pas avares de ces géniteurs fuyards n’assumant aucune de leurs responsabilités et de ces mères restant désespérément seules pour se débrouiller, bien ou mal, avec l’enfant qu’elles n’ont pas désiré. Heureusement, le comportement des lâches est parfois racheté par ces discrets amoureux, comme le fut mon grand-père maternel, qui épousent leur chérie avec un enfant déjà tout fabriqué et qui le font leur, sans tambours ni trompettes.

Je ne manquais pas d’inspiration familiale pour ce Généathème et d’ailleurs, j’ai déjà évoqué une naissance illégitime avec l’histoire d’amour d’Elmire et d’Alphonse. Mais je suis pourtant allée chercher à l’extérieur le récit d’aujourd’hui, qui commence par une triste erreur administrative et se termine sur un point d’interrogation. Elle prend racine dans la vie de ces petites brodeuses que j’aime tant ramener à la lumière.

Abécédaires

Elles sont deux, Octavie et Hortense, et j’avais déjà effleuré leur histoire il y a pile un an, pour le Généathème de juin 2021 consacré aux histoires d’argent. En approfondissant les recherches autour de ces deux sœurs pour contextualiser leurs abécédaires jumeaux, je suis arrivée jusqu’à l’histoire d’Émile Sébastien qui, au tournant du XXe siècle, épousa la fille d’Octavie.

Naître et reconnaître

Émile voit le jour en 1875 à Flammerans, un petit village bourguignon de la plaine de Saône. Il n’y a pas de père à l’horizon, la maman a dix-neuf ans et se retrouve seule à devoir gérer cette grossesse dont on imagine assez qu’elle n’était pas attendue.

C’est la sage-femme qui vient en mairie, le 24 juin, pour déclarer la naissance de l’enfant qu’elle a aidé à venir au monde deux heures plut tôt, dans la maison du grand-père. Elle donne l’identité de la mère, Claudine Joséphine Sébastien, et souligne son état de célibataire.

Ces circonstances vaudront à Émile à la fois de s’appeler Sébastien comme sa mère, puisqu’elle est désignée, et de se voir qualifier en marge de son acte de naissance de garçon naturel puisqu’il est né hors mariage.

Naissance d’Émile SÉBASTIEN le 24 juin 1875 – Archives départementales de la Côte-d’Or

Le 14 août, Joséphine se présente devant l’officier d’état civil et se reconnait la mère de son petit Émile. Pourquoi effectue-t-elle cette démarche ?

Lorsqu’un enfant nait d’une mère mariée, c’est le plus souvent son époux qui le déclare en personne. Mais en son absence, toute personne ayant assisté à l’accouchement ou chez laquelle il a eu lieu peut se charger de cette déclaration, sans que ça ne change rien à la filiation : la paternité est toujours attribuée à l’époux de la mère, qu’il soit présent ou non… que ça corresponde ou non à la réalité biologique. Le mariage vaut reconnaissance implicite, par les deux conjoints, de tous les enfants nés de l’épouse pendant sa durée.

En revanche, pour les enfants venus au monde hors mariage, aucune filiation n’existe de fait, ni du côté du père, ni du côté de la mère quand bien même, comme ici, elle est connue et transmet donc son nom à l’enfant. Juridiquement, cette absence de filiation a des conséquences non négligeables ; elle signifie notamment pas d’autorité parentale et pas de bénéfice à la législation sur la transmission des biens.

Reconnaissance d’Émile par sa mère le 14 août 1875 – Archives départementales de la Côte-d’Or

C’est donc la reconnaissance formelle, obligatoirement effectuée en personne, qui fait légalement de Joséphine la mère d’Émile.

Aucun délai n’est imposé pour cette formalité et on en rencontre même de fort tardives pour des raisons diverses, le plus souvent par méconnaissance de la loi. Puisque l’enfant portait leur nom et vivait avec elles sans qu’on le leur conteste, certaines mères célibataires ignoraient tout simplement le flou juridique de leur situation. Il n’est pas rare de trouver une reconnaissance au moment du mariage de l’enfant, quand le notaire chargé du contrat pointait la négligence et leur conseillait d’y remédier.

Un exemple de reconnaissance à retardement ? Par un acte notarié de 1898, Sarah Bernhardt reconnaît son fils Maurice né en 1864, suite à quoi elle en fera le seul héritier de tous ses biens : Enfin il n’est pas un brin de fil m’appartenant qui ne soit à mon fils, auquel je donne tout. Trente-quatre ans de réflexion…

Un maire négligent

Rien de tout cela pour Joséphine : elle sait ce qu’il faut faire et elle le fait sans tarder, alors que son bébé n’a pas encore atteint deux mois. Peut-être a-t-il suffi d’un bon conseil car sa signature vacillante montre assez qu’elle n’est pas très familière de la chose écrite.

Signature de Joséphine SÉBASTIEN sur l’acte de reconnaissance de son fils – Archives départementales de la Côte-d’Or

Que se passe-t-il à ce moment-là ? On est un samedi, il est huit heures du matin. Le maire s’est-il emmêlé avec le mariage qu’il vient de célébrer au même moment ? Est-ce le secrétaire de mairie qui n’a pas assuré le suivi dont il avait la charge ? Toujours est-il qu’une formalité capitale va être omise, rendant cette reconnaissance transparente.

Tout indique qu’elle est complètement passée sous les radars du traitement administratif. Elle ne figure pas dans les tables décennales, ce qui est un moindre mal. Mais surtout, elle n’a pas été reportée en marge de l’acte de naissance d’Émile, et les conséquences sont beaucoup plus lourdes.

Car c’est un pur hasard si je l’ai remarquée en feuilletant le registre lors de ma recherche : l’acte de naissance porte le numéro 20 et elle se trouve quatre pages après, au numéro 28. Seulement, à défaut de mention marginale inscrite sur la naissance, qui aurait l’idée de partir à la recherche d’une hypothétique reconnaissance ayant pu survenir des années après… ou jamais ?

Jusqu’à aujourd’hui, j’étais donc la seule à savoir que Joséphine avait vaillamment fait ce qu’il fallait, à travers le dédale des démarches administratives qui devaient pourtant lui sembler un peu mystérieuses. Même le principal intéressé l’ignorait visiblement, lui qui sur la base de l’acte de naissance présenté au moment de ses noces se voit encore qualifié, sur son acte de mariage, de fils naturel non reconnu de Claudine Joséphine Sébastien.

Reconnaissance
Mariage d’Émile SÉBASTIEN et d’Octavie NAULIER le 27 juin 1900 – Archives départementales de la Côte-d’Or

Et je trouve ça infiniment triste. Car Joséphine, probablement présente au mariage de son fils, ne devait pas se trouver elle-même assez à l’aise avec les méandres de la loi pour comprendre la portée de la démarche accomplie vingt-cinq ans plus tôt, démêler ce couac et faire remettre les choses en ordre à la mairie de Flammerans.

En tout cas, une chose est sure : Émile a passé son enfance avec sa mère, comme en témoignent les recensements ; puis dans son adolescence, on le trouve inscrit chez les agriculteurs pour lesquels il est domestique de culture mais toujours dans son village. Et le jour où il épouse Octavie Naulier à Dijon, son grand-père et sa tante sont à ses côtés pour lui servir de témoins. On peut donc penser que sa mère a elle aussi fait le déplacement à la ville, même si la rédaction imprécise de l’acte ne permet pas d’en avoir l’assurance

Une reconnaissance mystérieuse et tardive

L’histoire ne s’arrête pas là et la naissance d’Émile cumule vraiment tous les mystères.

On avance jusqu’en 1921… et voilà qu’il se trouve un papa ! Le 17 mars, Jean Baptiste Chairy, jardinier, se présente en mairie de Thiais où il habite, pour se déclarer le père de ce gaillard de quarante-cinq ans. Et cette fois-ci, l’information franchira sans problème la distance de trois-cent-cinquante kilomètres qui la sépare de la Côte-d’Or pour venir se poser dans la marge des actes de naissance et de mariage d’Émile.

Reconnaissance d’Émile par Jean Baptiste Chairy le 17 mars 1921 – Archives départementales du Val-de-Marne

Mais d’où sort donc ce père providentiel ? Jean Baptiste Chairy est bien né à Flammerans mais on ne l’y trouve pas dans les deux recensements qui encadrent la naissance d’Émile, en 1872 et en 1876.

En 1880, cinq ans après que Joséphine a donné le jour à son petit, il épouse en région parisienne une demoiselle Lageste. Il aura avec Léonie un fils, Georges, qui meurt prématurément à quinze ans. Sa femme est toujours en vie lorsque, dix-huit ans plus tard, il reconnait Émile pour son fils. Et d’ailleurs, il la laissera veuve lorsqu’il disparait à son tour, en 1927, six ans après être tardivement devenu père pour la seconde fois.

Dans le peu que je connais de sa vie, je ne vois ni contexte ni évènement déclencheur qui pourrait expliquer la reconnaissance d’Émile. Bien sûr, si je travaillais sur ma généalogie familiale, je ratisserais toutes les ressources disponibles et notamment les notaires, quitte à me déplacer, pour tenter de comprendre le pourquoi du comment.

Mentions marginales sur les actes de naissance et de mariage d’Émile

Mais hors le cas d’école, la vie d’Émile n’apporte pas grand-chose à ma recherche initiale sur les marquoirs des deux sœurs costaloriennes, dont l’une est sa belle-mère. J’en resterai donc là, avec quelques interrogations à la clé.

Jean Baptiste est-il le père biologique ? Il ne figure pas dans les témoins de la naissance, ni dans ceux de la reconnaissance, il ne semble pas habiter Flammerans à l’époque de la conception de son fils. Edit : sur la suggestion d’Henri Ferréol Billy (merci !), je suis allée consulter son recensement militaire : en 1873, il habitait Dole et sa mère Auxonne, près de Flammerans.

Pourquoi cette démarche si tardive alors qu’il a quitté la Bourgogne depuis bien longtemps ? Serait-ce une reconnaissance de complaisance pour une simple question de transmission de biens ? Mais dans ce cas, pourquoi Émile ?

Comment a-t-elle été vécue par les protagonistes de l’histoire ? Je pense notamment à la femme de Jean Baptiste qui pouvait s’en inquiéter affectivement et s’en trouver matériellement lésée.

Et finalement,  pour en arriver là après quarante-cinq ans, comment les liens ont-ils été maintenus entre Émile et son père ?

Les questions restent posées  pour qui voudra un jour s’en saisir et y apporter une réponse, peut-être au détour d’une recherche familiale :-)) Pour moi, cette histoire m’aura servi de leçon : même en l’absence de mention marginale sur une naissance illégitime, j’ai maintenant le réflexe de toujours jeter un rapide coup d’œil dans la suite immédiate du registre, au cas où il contiendrait tout de même une reconnaissance. C’est facile dans les petites communes et pour les villes, je ne perds rien à simplement parcourir la table décennale.

On ne sait jamais…

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