Ma généalogie suisse

Notre branche Harrisson, celle de notre grand-mère paternelle, est restée pendant tout le XIXe siècle dans le pays de Montbéliard. Elle n’a guère bougé que de quelques kilomètres autour de Beaucourt, au gré des changements d’affectation dans les usines Japy.

Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que j’arrive finalement en Suisse, en raison à la fois de la proximité immédiate de la frontière et de la spécialisation de mes gens dans l’horlogerie. Je fus, pour la première fois, confrontée à mon nouveau pays avec le décès de notre ancêtre à la septième génération, en 1852.

Généalogie suisse
Décès de Samuel Harrisson à Beaucourt le 10 février 1852 – Archives départementales du Territoire de Belfort 1 E 9 NDM 3 – 4

Samuel a toute sa vie été mécanicien, ses enfants et ses petits-enfants seront horlogères et horlogers. Il est donc né en Suisse, à Berthoud, mais fait souche en France ou toute cette branche vivra désormais.

L’arrivée des Harrisson dans le pays de Montbéliard

À vol d’oiseau, la frontière est aujourd’hui à cinq kilomètres de Beaucourt mais il faut compter avec le relief et les intérêts locaux en cette fin de XVIIIe siècle. En piquant plein sud, un bon marcheur ralliait la Chaux-de-Fonds en deux jours s’il ne craignait pas ce pays de montagne tout en montées et en descentes. Il faisait étape à Saint-Hyppolyte, à l’auberge chez Mercier et s’y réconfortait de truites et d’écrevisses du Dessoubre, arrosées d’un vieux vin d’Arbois (Muston).

C’est le chemin que suivit le jeune Frédéric Japy en 1768, muni de sa vaillance, de son sac à dos et de son bâton de marche. Il passa finalement en Suisse pour rejoindre la vallée de la Chaux-de-Fonds, entre forêts d’épicéas, tourbières et pâturages (Muston). Il partait se placer au Locle avec la volonté d’y apprendre l’horlogerie.

La frontière franco-suisse aujourd’hui, le chemin de Japy en 1768 et Burgdorf où vivait Jean Harrisson

Après son apprentissage chez Monsieur Perret, il s’en revint dans son pays de Montbéliard pour monter cet atelier de fabrication d’ébauches de montres qui allait être à l’origine de la grande entreprise Japy. De ces trois ans dans les montagnes neufchâteloises, il avait gardé l’habitude de relations étroites avec la Suisse : chaque mois, il transportait lui-même ses ébauches à la Chaux-de-Fonds pour les y vendre au mieux de son avantage.

Mais il voyait déjà plus grand que le travail artisanal et avait en tête de produire en masse. Le premier problème qu’il dut résoudre fut d’inventer des machines-outils pour développer son industrie. Frédéric Japy fit donc venir de Suisse des spécialistes de la mécanique et du travail de l’acier.

Attestation de Japy, maire de Beaucourt – Demande de naturalisation de Frédéric, le fils de Samuel
Archives nationales BB/11/500

C’est ainsi qu’après avoir dans un premier temps émigré depuis son Angleterre natale, Jean Harrisson, le père de Samuel, se remit en route et quitta Burgdorf pour Beaucourt en 1790. Il arrivait dans une Principauté de Montbéliard encore placée sous la tutelle des princes de Wurtenberg mais à la veille de passer à la France, qui l’annexa en 1793.

Et voilà pourquoi, deux siècles après, faisant à rebours le chemin de cette branche, il me fallut moi aussi passer une frontière pour aller explorer les archives suisses.

Premiers pas en Suisse

Changement de pays, changement d’habitudes pour la recherche généalogique ! J’ai dû m’adapter à la généalogie suisse comme je l’avais fait pour la généalogie louisianaise.

Il faut s’approprier une nouvelle organisation administrative, dans un pays confédéré composé de vingt-six cantons dont chacun est un état ayant la liberté d’organiser l’accès à ses archives comme il l’entend. Pour ma plus grande chance, Burgdorf est localisée dans le canton de Berne dont les registres sont partiellement proposés en ligne, ce qui est encore loin d’être généralisé.

Il faut évoluer dans une nouvelle langue. Dans cette partie du pays, on parle le suisse allemand, une appellation qui regroupe plusieurs dialectes alémaniques dont les particularités sont jalousement défendues par leurs locuteurs. Pour mettre tout le monde d’accord, c’est finalement l’allemand qui est une des quatre langues officielles de la Suisse. J’ai donc dû me familiariser avec les mots les plus courants de la généalogie dans cette langue…qui m’était jusqu’ici totalement inconnue.

Apprendre quelques rudiments d’allemand contemporain, c’est une chose, mais comprendre comment il s’écrit au XVIIIe siècle ?

Baptême de l’aînée, Charlotte Harrisson, à Berthould le 22 février 1769 – Archives du canton de Berne

Et puis très pratiquement, il faut s’adapter à une nouvelle logique de présentation des registres en ligne, un peu déstabilisante pour nous. Certes les services d’archives français utilisent des visionneuses différentes mais l’approche est toujours plus ou moins la même et les outils se sont beaucoup enrichis avec les mises à jour généralisées, récemment imposées par l’abandon de Flash Player.

À Berne, on part sur une logique assez différente et plutôt spartiate, avec les habituels inconvénients et avantages liés aux nouvelles habitudes à acquérir.

Pour ma part, même si j’ai encore beaucoup à creuser, j’ai tout de même trouvé quantité d’actes concernant ma famille. Explorer les registres bernois est donc accessible et je vais vous expliquer ce que j’en ai compris.

Les recherches dans les archives bernoises

Je vous propose de prendre pour cas pratique le baptême de Samuel, dont l’acte de décès de 1852 nous apprend qu’il est né à Berthoud, en Suisse, qu’il a quitté la vie à soixante-treize ans et que ses parents s’appelaient Catherine Meyer et Jean Harrison.

Préalable indispensable, j’apprends par une première recherche très basique sur Berthoud que la ville est située dans le canton de Berne et surtout, s’appelle Burgdorf en allemand.

Munie de ce précieux renseignement, direction le site des archives bernoises qui publie les registres paroissiaux des communes se trouvant dans les limites actuelles du canton. Seuls sont manquants ceux des quatre paroisses qui ne les ont pas versés aux archives de l’État : Frutigen, Guttannen, la Lenk et Saanen. Mais en cas de besoin, vous pouvez consulter les numérisations faites directement au sein de ces communes à l’initiative de Lewis Rohrbach en vous rendant dans un centre d’histoire familiale.

Les premiers registres proposés sur le site remontent à l’époque de la Réformation, quelques uns sont même de 1528, l’année où Berne prit le décret de conversion de ses bailliages. Ils s’arrêtent tous à 1875, la loi fédérale sur l’état civil étant entrée en vigueur l’année suivante.

Je me suis fait une liste sommaire des quelques mots indispensables pour me repérer un minimum dans l’arborescence, je  la pose là si elle peut vous être de quelque utilité.

Pour aller plus loin dans l’allemand généalogique, je vous signale la ressource du wiki FamilySearch si passer par l’anglais ne vous rebute pas, et celle de Généafrance qui présente l’avantage d’être en français.

La navigation dans l’arborescence est intuitive : on clique sur le symbole + à gauche d’une ligne pour développer son contenu.

En ouvrant Kirchenbücher [registres paroissiaux], on accède à la liste des communes classées par ordre alphabétique. Il est ainsi facile d’atteindre Burgdorf et de développer la ligne pour accéder à la liste des registres disponibles.

Samuel a 73 ans en 1852, je vais donc chercher son baptême autour de 1779, c’est-à-dire dans le registre Taufrodel 1765-1808, cette fois-ci en double-cliquant sur la ligne.

C’est ici que l’accès se différencie des visionneuses en France : le registre est disponible au format pdf et proposé en entier au téléchargement en cliquant sur le lien correspondant. Il peut être intéressant de conserver certains des registres dans lesquels on a beaucoup d’actes à trouver, ce qui laisse tout le loisir de les parcourir confortablement sans être en ligne.

Les numérisations ne sont pas de la meilleure qualité mais les registres restent tout à fait lisibles… à condition de savoir déchiffrer l’écriture de l’allemand à cette époque, et je suis loin de dominer cette double difficulté. Cependant ici la localisation temporelle des actes est assez claire en haut de chaque page pour les années puis au début de chaque acte pour les mois, facilement repérables.

Il est évidemment illusoire d’espérer maîtriser l’écriture cursive allemande en un claquement de doigt. Cependant, on trouve facilement en ligne une typologie des lettres pour se débrouiller un minimum dans un premier repérage. Je garde notamment ce tableau sous la main pour identifier les graphies un peu surprenantes comme le S ou le T en majuscules.

La recherche est évidemment facilitée par le fait que les registres sont très répétitifs avec par exemple, dans celui-là, le prénom systématiquement mis bien en évidence en haut à droite de l’acte. Je feuillette donc les pages jusqu’à l’année qui potentiellement m’intéresse et dans laquelle, par chance, figure en premier le baptême de mon Samuel.

Il s’agit ensuite de le décrypter… et c’est une autre paire de manches ! Il y a des transcriptions/traductions dont je suis un peu plus sure que d’autres mais je pourrais mettre des points d’interrogation quasiment partout et il me reste encore bien des manques. D’ailleurs, si une ou un spécialiste passe par ici…

J’essaie d’avancer dans mes premières intuitions en utilisant ces outils :

  • l’incontournable FamilySearch où je repère, à la période qui m’intéresse, plusieurs Samuel Stähli à Burgdorf dont deux au moins pourraient correspondre à mes témoins.

J’ai la chance de pouvoir aussi me référer à la traduction officielle du baptême d’un frère de Samuel, fournie dans le dossier de naturalisation d’un de ses neveux que je me suis procuré aux Archives Nationales.

Baptême de Philippe Harrisson dans son dossier d’admission à domicile – Archives nationales BB/11/321

Bref je fais feu de tout bois. Je conviens que mon cheminement est assez approximatif et ne constitue pas une méthode mais ces astuces vous donneront peut-être des pistes si, comme moi, vous découvrez les archives bernoises.

Je reste aujourd’hui encore avec plus d’interrogations que de réponses. Par exemple qui serait ce Samuel Harrisson qui me parait listé dans les témoins ? Comment remonter plus avant du côté de Catherine Meyer, dont je fais l’hypothèse qu’elle est Suisse et rencontrée sur place par mon ancêtre venu d’Angleterre ? Comment appréhender les relations entre les familles protagonistes de mes actes ? Où se cache l’acte de mariage de Catherine Meyer et de Jean Harrisson ?

Mais il n’en reste pas moins qu’avec cette opportunité des registres bernois en ligne, j’ai découvert les baptêmes des dix enfants de mon couple souche, entre 1769 et 1787, ainsi que les décès de deux d’entre eux et celui de leur mère, Catherine Meyer, en 1804. Pour peu que vos recherches soient antérieures à 1876, je vous souhaite le même plaisir dans vos recherches virtuelles en Suisse ;-))

Et si elles vous conduisent dans un autre canton, vous trouverez sur le site du Cercle généalogique de l’ancien Évêché de Bâle l’état des ressources actuellement disponibles en ligne.

En complément : la presse suisse

J’ai également cherché à éclaircir la situation plus tardive d’un fils de Samuel, né et marié à Beaucourt avec une Haut-Rhinoise mais qui a visiblement continué à mener sa vie avec un pied en France, où il semait régulièrement des enfants, et un pied en Suisse, où il menait sa vie professionnelle.

Avec une réussite mitigée d’ailleurs, ce que m’ont permis de cerner les archives de la presse suisse disponibles sur ce lien.

Feuille d’avis de Neufchâtel des 1er avril 1852 et 14/12/1861

La presse est également intéressante pour les avis de décès et les petites annonces qui, pour anecdotiques qu’elles soient, nous apportent un éclairage sur la vie de nos gens. J’ai par exemple appris en les parcourant que la bru de Samuel avait fini par passer elle aussi en Suisse et par mourir chez une de ses filles, qui tenait une pension de famille à La Chaux-de-Fonds.

Merci à Geneatech, jamais à court d’idées fantaisistes et inspirantes, qui nous propose cette année de bloguer en suivant les étapes Tour de France… et merci aux cyclistes de faire aujourd’hui et demain un détour par la Suisse :-)) Pour revoir mon Tour de France 2021 sur le thème du vélo, c’est par ici.

La semaine prochaine, je vous parlerai de ma généalogie dans la Loire, en même temps que les cyclistes passeront à Saint-Étienne.

(*) Étienne MUSTON. Histoire d’un village. Imprimerie Barbier frères  à Montbéliard, 1882.

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