J comme… la toilette Japy

Aujourd’hui à la une

C’est un objet un peu hors cadre que j’ai envie de mettre en avant aujourd’hui, tout simplement parce qu’il n’a jamais appartenu à ma famille. Mais j’ai quand même avec lui un lien particulier qui doit tout à ma branche de Franche-Comté, déjà moult fois évoquée sur ce blog puisqu’elle a notamment fait l’objet de mon challenge AZ l’année dernière.

En me promenant un matin sur la jolie brocante organisée un dimanche par mois autour des Halles de Dijon, je tombe en arrêt devant un adorable meuble de toilette en bois courbé, dans le style bien connu des établissements Thonet. Mais je n’ai pas besoin d’un meuble de toilette… Qui a besoin d’un meuble de toilette ?!!! Au demeurant je n’ai pas la place pour le loger dans mon petit appartement et je limite ordinairement mes caprices à la mercerie ancienne qui constitue ma collection de prédilection.

Et puis le prix très raisonnable demandé pour la chose excède tout de même largement la cagnotte que je peux dépenser sans trop de réflexion pour mes coups de cœur de hasard. Je passe et je repasse devant la petite merveille, je repars en la laissant derrière moi et je l’oublie.

toilette Japy

Quelques années plus tard, dans un village que je traverse plusieurs fois par semaine pour aller voir mes parents, je m’arrête chez un brocanteur qui liquide son fonds à grand renfort de banderoles aguicheuses. Inutile de faire durer le suspens : c’était le vendeur des Halles et la toilette était toujours là, dans un coin de sa grange… bradée pour l’occasion à la moitié de son prix d’origine. J’avais entretemps agrandi mon espace de vie, les étoiles étaient donc alignées : cette fois-ci, je conclus l’affaire sans un instant d’hésitation.

Au moment de charger le joli meuble dans ma voiture, le brocanteur me glisse : « En le nettoyant, vous ferez attention à ne pas abîmer l’étiquette d’origine collée sous le plateau, elle lui donne toute sa valeur »

Japy ! À deux-cent kilomètres d’ici, c’est l’entreprise qui a employé toute ma famille de la fin du XVIIIe siècle jusqu’après la première guerre mondiale ! Cette toilette devait me revenir…

Le premier dont je suis assurée qu’il ait travaillé pour elle est, en 1790, Jean Harrisson, le patriarche de cette branche originaire de Birmingham où il était fabricant de quincaillerie. J’ai déjà raconté ici comment Frédéric Japy l’avait fait venir de Suisse pour ses compétences dans le travail de l’acier. À sa suite, tous mes protestants Francs-Comtois ont travaillé pendant plus d’un siècle pour la dynastie Japy comme horlogères et horlogers, comme voituriers, ou encore dans la mécanique de précision et la petite transformation du métal.

Je ne savais pas que l’entreprise, plus connue sur les étals de brocante pour ses réveils ou son acier émaillé joliment fleuri, avait aussi touché au bois. C’est effectivement resté dans son histoire une activité très annexe et principalement réservée à la fabrication de sièges de bureau pour accompagner la vente de ses machines à écrire.

Une des nombreuses usines Japy dans la région se trouve au Rondelot, à Fesches-le-Chatel, où mon arrière-grand-père Georges Harrisson a été voiturier au tournant du XXe siècle. Construite en 1835, elle se consacre initialement à la quincaillerie et aux ustensiles de cuisine en fer battu, puis aux meubles de jardin et aux moulins à café et à graines.  

La scierie qui s’y trouve est, à l’origine, prévue pour la fabrication de caisses d’emballage destinées à conditionner les produits de la marque. Vers la fin du XIXe siècle, l’usine du Rondelot évolue vers le travail du bois et en 1910, il s’y installe un atelier dédié au bois courbé pour créer des sièges, des porte-manteaux… et donc des meubles de toilette, comme en témoigne ma chine et son étiquette dont j’ai évidemment pris grand soin.

Cette branche de l’activité sera cédée en 1939 à l’usine Baumann, de Colombier-Fontaine, dont il semble qu’elle ait pu, elle aussi, fabriquer des meubles étiquetés Japy.

Voilà pourquoi ma providentielle trouvaille m’évoque irrésistiblement mes gens et pourquoi je la considère quasiment comme un objet de famille ayant toute sa place dans cette série. Peut-être Georges l’a-t-il chargée sur sa voiture pour qu’elle soit expédiée vers la Bourgogne voisine où elle a fini par arriver, un siècle plus tard, dans les mains de son arrière-petite-fille ?

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