Décidément mes gens ont les honneurs de la presse néo-orléanaise mais une fois encore, ce n’est pas pour des raisons glorieuses. Après Louis, le fils d’Annette et de Frédéric, voici venir le tour d’Achille, celui de Marie Anne et de George. Pas de jaloux !
Frédéric Achille naît en 1839 à La Nouvelle-Orléans. Si je n’ai pas davantage de précisions sur sa venue au monde, c’est que j’entends parler de lui pour la première fois au recensement de 1850, où il est listé sous son premier prénom de Frédéric ; il jonglera toute sa vie entre les deux, préférant celui d’Achille à son âge adulte. Mais son acte de naissance, je n’ai pas (encore ?) mis la main dessus.
Il grandit aux confins de Trémé où l’on trouve son père à la même adresse pendant au moins vingt ans, sur Tonti street, tout près du canal Carondelet. Cette partie du Faubourg avait encore à l’époque un peu des airs de campagne, parsemée de ces petites industries dont le percement du canal avait favorisé l’installation.
Et le Faubourg Trémé est le théâtre de ses piteux exploits de jeunesse.
Le voyou de l’été 1859
Ce 9 août en début d’après-midi, quatre jeunes gens passablement éméchés vont jouer les petits caïds et terroriser le quartier, comme une bande de Commanches. En relatant l’audience de leur jugement, le Daily Crescent lâchera tout de même qu’il s’agit de fils de bonne famille. Mais pourtant…
Leurs exploits débutent dans le haut de St Ann street, entre Galvez et Johnson streets. Ils entrent par effraction chez Mr. Metzler et le menacent d’un couteau, en le sommant de leur remettre ce qu’il a de valeur. Malade et alité, Metzler se débrouille malgré tout pour s’enfuir mais les jeunes vandales cassent tout chez lui et parviennent à s’emparer de trente dollars et de bijoux. Puis ils remontent Galvez street et rendus à l’angle d’Ursuline street, ils piquent le fusil d’un gosse qui s’amusait à tirer les hirondelles. Ils s’en servent pour tuer un chien qui leur aboyait dessus et, dans la foulée, ils menacent son maître de lui faire subir le même sort. Ils entrent dans une épicerie où ils font bien du grabuge et des dégâts puis terminent dans un café où ils boivent jusqu’à plus soif et barbouillent les murs d’encre.
Alertée par Mme Metzler, la police arrive finalement à en attraper trois après un peu de résistance ; le quatrième larron, qui parvient à s’enfuir, restera anonyme.
Une sacrée bande de malfaisants…mais que faisait donc Achille dans cette équipe de voyous ? À trois blocs de chez son père, en plus, qui a dû être ravi de se faire si bien voir dans son propre quartier ! La presse semble désigner un certain George Carnes, déjà défavorablement connu, comme leader du groupe et celui qui maniait le couteau. Achille s’est-il laissé entraîner ? C’est heureusement la seule fois où il se fera remarquer à la rubrique des faits divers.
En attendant, il est dans de beaux draps. Le lendemain, la locataire des Metzler témoigne sous serment de la scène qui s’est déroulée chez eux, avec force détails. Margaret Schaeffer assure de plus savoir que ses propriétaires détenaient dans l’armoire forcée par les voyous trente dollars en or, une paire de boucles d’oreille, trois boutons de manchettes, deux petites broches et trois bagues qui ont disparu. Tant et si bien que les trois prévenus sont mis en accusation et renvoyés devant le juge pour le surlendemain.
Seulement le jour dit, aucun témoin ne se présente, ni les Metzler, ni leur locataire. Une semaine après, rebelote malgré le mandat émis à l’audience précédente : la police a trouvé porte close chez les témoins. Le juge estime donc n’avoir pas d’autre choix que de déclarer l’affaire sans suite, non sans avoir auparavant fait remarquer aux jeunes délinquants que ces défections sont une grande chance pour eux, sinon c’était le pénitencier assuré. Il se borne à espérer que cet avertissement leur sera profitable.
Là-dessus la presse, forcément bien informée, croit savoir que Pierrot Loizelle, un personnage au passé plus que douteux, aurait retenu Margaret Schaeffer le temps de l’audience pour qu’elle ne puisse justement pas témoigner. Mais les choses s’arrêtent là et nous n’en entendrons plus parler.
Tout est quand même un peu bancal dans ce dossier judiciaire ou plutôt dans ce que nous en dit la presse, puisque c’est le seul écho que j’en ai et probablement bien incomplet. Bizarre que si peu de personnes aient porté plainte après un tel charivari : ni le propriétaire du chien tué, ni l’épicier vandalisé, ni le patron du bar alors que d’après lui, ça faisait déjà une quinzaine de fois que les jeunes sauvages venaient se rincer à l’œil dans son établissement. Bizarre aussi que Margaret Schaefer soit si bien renseignée sur le détail des valeurs planquées par ses propriétaires dans une armoire close. Bizarre enfin que le juge lâche si facilement l’affaire alors qu’on soupçonne une subornation de témoins.
Se pourrait-il que les époux Metzler aient mis à profit cette occasion, certes malheureuse, pour déclarer volés des biens qui ne l’étaient pas ? Ou que les bonnes familles aient refait le parcours suivi par leurs rejetons et généreusement dédommagé les victimes en échange de leur silence ? En tout cas, cette histoire n’aura pas davantage de suites judiciaires.
L’ingénieur et le père de famille
Achille a dû effectivement comprendre la leçon, soit par crainte de se retrouver une nouvelle fois devant le juge, soit que ses parents l’ait repris énergiquement en main… et probablement un peu des deux. Il revient en tout cas dans le droit chemin, après ce qui semble ne devoir être considéré que comme une bêtise de jeunesse. Il commence à travailler comme ingénieur, suivant en cela la voie paternelle.
Huit ans après son écart de conduite, il épouse Céleste Languille, la dernière née d’une vieille famille créole de la paroisse Saint-Bernard ; elle a dix-sept ans et a grandi dans une plantation sur la rive nord du Mississippi, à l’emplacement de ce qui est aujourd’hui la raffinerie sucrière de Chalmette.
Céleste devient donc citadine et s’installe avec son nouveau mari à l’est du Faubourg Marigny. C’est là qu’un an plus tard, elle met au monde leur premier enfant, Anatole. Passent encore deux ans et elle lui donne une petite sœur, Adèle.
Elle est encore une toute jeune femme de vingt-deux ans lorsqu’elle est à nouveau enceinte. Malheureusement, cette troisième grossesse n’a pas l’issue heureuse des précédentes et elle meurt de suite de couche, au printemps 1872. Cette mention portée à son acte de décès sera la seule trace du bébé, probablement parti avec sa mère.
Achille reste donc veuf avec ses deux petits de deux et quatre ans.
Cinq ans après, au cœur de l’été 1877, il épouse en secondes noces Elisabeth Pepper, à nouveau une bien jeune femme puisqu’elle a vingt-deux ans et lui trente-huit. Il ne fallait pas trop tarder à célébrer la noce : Edward vient au monde quatre mois plus tard.
Décrypté à travers les archives administratives qui sont souvent les seules à notre disposition, ce mariage apparait à nouveau comme une succession d’évènements dramatiques. Dix mois après Edward, George Eugène vient agrandir la famille mais il est bien vite emporté par un choléra infantile alors qu’il n’a pas encore quatre mois.
Lizzie va encore accoucher de trois enfants, parmi lesquels seul Albert, né en 1881, parviendra à l’âge adulte. Après lui, le petit Joseph né au printemps 1882, n’atteindra pas deux mois.
En septembre 1883, elle met au monde une fille, Agnès Delia, dont le second prénom donne à penser que la plus jeune de mes mercières fut sa marraine. J’aime ces signes discrets qui témoignent du réseau tissé entre les cousines et les cousins issus des deux George Frédéric. Les indices de moments de bonheur, si fugaces…
Car en février 1885, Lizzie est victime de la tuberculose. La petite Delia de dix-huit mois ne survit que de quelques semaines à sa mère. Il y a vraiment des histoires dont on se demande par quel bout on va entreprendre de les raconter, tant on a l’impression qu’elles se résument à une litanie de décès. Malheureusement, ce n’est pas terminé.
Achille se retrouve donc veuf pour la seconde fois, avec maintenant quatre enfants sous son aile. La première à quitter le nid est Adèle qui se marie en 1892, alors qu’elle va sur ses vingt-deux ans. Encore un mariage dicté par l’urgence : prénommée comme la grand-mère qu’elle n’a pas connue, la petite Céleste naîtra moins de quatre mois après la noce, au tout début de l’automne… et partira en mai suivant, sans même avoir vécu son premier été.
Adèle met encore au monde une fille, Viola, née en janvier 1894. Puis elle tombe malade et quitte la vie dans l’été 1894. Elle a vingt-trois ans, le même âge précoce auquel sa mère était morte quand elle était encore bébé.
Les trois garçons restent groupés autour de leur père, chez qui ils habitent encore au recensement de 1900, dans la petite maison qu’il a achetée il y a une vingtaine d’années au cœur du Faubourg Marigny. Troisième génération de cette famille d’ingénieurs et de mécaniciens, Anatole travaille comme son père pour l’industrie sucrière.
1902 est l’année où la famille va se défaire, pour d’heureuses et moins heureuses raisons. Edward se marie le 2 avril et Anatole le 12 novembre. Achille n’aura assisté qu’aux premières noces car il meurt juste trois jours avant les secondes, le 9 novembre. Il a soixante-trois ans.
Mon fabricant de cousinages
Voilà encore une vie bien sinueuse que celle d’Achille. Curieusement, ce n’est qu’en m’attaquant à vraiment la raconter que j’ai réalisé les deuils successifs auxquels il avait été confronté : se contenter de retracer les itinéraires de nos gens sous forme de schémas parsemés de dates fait souvent perdre cette réalité-là.
Sans avoir atteint un âge démesurément avancé, il aura connu son lot d’accidents de parcours de toutes natures. Et que dire de ses malheureuses épouses, toutes deux disparues si jeunes… Au minimum qu’il ne leur a pas porté chance, ou qu’il n’en a lui-même pas eu.
Et pourtant… Pourtant ces vies peuvent-elles se résumer à leur point de départ et à leur fin en ignorant les jours de bonheur vécus entre les deux, les solidarités familiales qui aident à traverser les mauvais moments, l’envie toujours présente de recommencer malgré tout ?
Et pourtant… Pourtant, tout comme Louis, dont l’histoire finissait aussi par être un peu désespérante d’une autre manière, c’est Achille qui reste une de mes meilleures opportunités de me trouver des cousinages en Amérique. Car Céleste et Lizzie lui ont malgré tout donné quatre enfants parvenus à l’âge adulte, qui eux-mêmes auront des enfants.
C’est ainsi que l’histoire continue.
Vers l’article suivant Y comme jambalaYa
13 commentaires sur “X comme deuXième chance”
You are an excellent storyteller. I am the vice president of a group called the Genealogy Research Society of New Orleans. If we get in touch via email, I would like you to consider having one of your articles published in our journal. The journal is a mix of records and articles. Contact me!
Vous êtes un excellent conteur. Je suis vice-président d’un groupe appelé la Genealogy Research Society of New Orleans. Si nous vous contactons par e-mail, j’aimerais que vous envisagiez de publier l’un de vos articles dans notre revue. La revue est un mélange de documents et d’articles. Contactez moi!
Fouiller à ce point sa généalogie c’est risquer d’ouvrir la boîte de Pandore …
Vous étiez bien déterminée au départ ,n’avez vous pas été « secouée» quelques fois par ces malheurs en chaîne ?
Certaines âmes trop sensibles ne s’y risqueraient pas.
Pour dire la vérité, le temps qui a passé me permet de mettre énormément de distance entre eux et moi. L’actualité me chamboule beaucoup plus en amenant sous mon regard les malheurs qui touchent mes contemporains, même s’ils ne sont ni de ma famille ni de mon pays.
Trouver un cousinage serait une belle récompense après toutes ces recherches !
J’ai bon espoir !
La vie à cette époque, ne fut pas toujours rose…..beaucoup de naissances, beaucoup de départs jeunes aussi !
Vous allez finir par trouver votre cousinage ? !
Bon we et à lundi.
J’ai quelques connexions avec des passionnées de généalogie mais ça, c’est encore toute une recherche qui me reste à faire.
Oui, le fait de raconter, rédiger, nous fait souvent comprendre les choses différemment. Déjà le fait par ex de calculer l’âge des gens au moment de tel ou tel événement donne une autre épaisseur aux faits : c’est une chose que de noter que tel ou tel ancêtre ou collatéral est décédé à telle date, une autre que de calculer l’âge de son conjoint et de ses enfants à cette date… En tout cas, je croise les doigts pour les cousins à trouver!
Quand on remet les choses en perspectives, ça devient plus concret. On n’est plus sur des numéros de Sosa, des statistiques et des dates qui s’enchaînent. Ça fait autant de bonnes surprises que de découvertes moins heureuses, au fond.
Bonjour Sylvaine
Il y a des familles qui s’en sortent bien et d’autres que la vie a accablé, par de nombreux décès. Pas facile de retrouver tous les enfants nés et qui ont vécus peu de temps, surtout quand plusieurs enfants ont le même prénom. Mais avec toutes tes recherches, tu va trouver des cousins en Louisiane. Et peut être aussi , des réponses à certaines questions. Sait ton jamais !!!! Merci de ce nouveau billet toujours aussi passionnant. Bon Samedi tout gris, et pluvieux, avec un peu de vent. Gros bisous et à Lundi avec la presque fin de ce challenge.
Oui, il faut prendre les choses comme elles viennent. Quand on fait de la généalogie, il vaut mieux être philosophe 😉
Rares sont nos ancêtres à ne pas avoir connu de deuils à répétition. Mais certains plus que d’autres…
Et encore, j’en ai zappé, à la fin je ne savais plus comment raconter cette histoire ! Voilà ce que c’est que de ne pas anticiper et de se retrouver à la dernière minute avec un héros dont on n’arrive pas à se dépêtrer 🤪