Un divorce révolutionnaire caché sous les perles

C’est encore une fois dans ma famille d’aiguille, et non pas dans ma famille de sang, que je suis allée chercher mon sujet pour le Généathème de février. Histoire de prendre un peu le contrepied de la Saint-Valentin, Geneatech nous invite à illustrer la ritournelle selon laquelle les histoires d’amour finissent mal (en général).

Au hasard de mes chines, j’ai accueilli dans ma collection d’ouvrages anciens un séduisant rosier perlé à l’aiguille par une jeune fille de dix-sept ans, il y a plus de deux siècles, dans la région d’Albi. Pour admirer les détails de ce travail raffiné et connaître l’histoire familiale d’Adeline, son autrice, je vous renvoie vers le canal historique, Ouvrages de Dames, et l’article je viens de publier aujourd’hui même sur le sujet. Il prélude à celui-ci, qui le prolonge sur l’intermède du divorce à l’époque très particulière de la Révolution.

L’intérêt généalogique de ce délicat ouvrage se trouve dans la mention tracée d’une plume décidée au verso du cadre. Par chance, Adeline n’a pas lésiné sur les détails permettant de suivre à la trace à la fois la brodeuse et la dédicataire.

Mais si elle permet d’identifier les deux protagonistes du cadeau, cette dédicace n’en soulève pas moins un mystère que je ne m’explique pas. Car voilà une bien étrange chronologie entourant un couple qui se fait et se défait à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, en semblant toutefois ne pas complètement couper les ponts.

Le divorce révolutionnaire, rapidement détricoté

Le mariage est l’un des sept sacrements de l’Église catholique. Voilà qui ne se prend pas à la légère : dans le sacrement, c’est Dieu qui est censé agir par l’intermédiaire de son ministre. C’est pourquoi l’Église ne tolère pas qu’on revienne sur un mariage. Sous l’Ancien Régime, seule était exceptionnellement envisageable la séparation de corps qui permettait aux époux de ne plus cohabiter ; mais ils n’en restaient pas moins mariés et ne pouvaient donc envisager une nouvelle union.

Arrive la Révolution, qui entend permettre à nos ancêtres de naître, s’unir et mourir sans que l’Église ne vienne fourrer son long nez dans leur vie privée. En même temps qu’elle retire l’état civil aux curés, la Constitution de 1791 se hâte donc de proclamer que le mariage prend exclusivement la forme d’un contrat civil.

Divorce révolutionnaire
Article 7 du titre II de la Constitution de 1791 – Musée des Archives Nationales

Et puisqu’il s’agit d’un contrat conclu entre partenaires libres, égaux, et consentants, il peut en toute logique être rompu par les parties si leur relation tourne au vinaigre. Le décret du 20 septembre 1792 institue donc un divorce très libéral, d’ailleurs en avance sur toutes les législations étrangères. On peut désormais défaire un mariage gratuitement et sans complications excessives, soit par consentement mutuel, soit pour faute à la demande d’une des parties, soit pour incompatibilité d’humeur.

Le lendemain de ce décret, la Convention nationale proclamait l’abolition de la royauté en France… Il faut croire qu’on en était à l’enthousiasme des débuts.

Le Divorce – Gallica

Effet probablement inattendu –et en tout cas rapidement jugé indésirable- la mesure rencontre un franc succès mais surtout, deux tiers des divorces sont demandés par les femmes. Il ne fallait pas tarder à contenir ce vent d’émancipation.

Dès 1795, le Directoire commence donc à resserrer les possibilités de rompre un mariage. Puis en 1804, le code civil de Napoléon y mettra des conditions si limitatives et contraignantes que la balance recommence à pencher outrageusement en défaveur des femmes.

Le divorce par consentement mutuel est maintenu mais les modalités en sont durcies à tel point que le nombre des demandes s’effondre.

Le divorce pour incompatibilité d’humeur est supprimé ; les motifs du divorce pour faute sont réduits de sept à trois, en intégrant l’adultère que le décret de 1792 n’avait pas mentionné explicitement. Au demeurant, les rédacteurs du code ne font même pas semblant de masquer le déséquilibre qui pénalise les épouses en cas d’adultère : le mari peut l’invoquer quelles que soient les circonstances alors que la femme ne sera autorisée le faire que si une concubine lui est imposée sous le toit familial.

Code civil 1804 – Source : Gallica

Mais on n’en est plus à ça près : selon le code pénal de 1810, seul l’adultère de l’épouse est passible de peine d’emprisonnement et, s’il est commis sous le toit conjugal, il constitue même une excuse pour le mari qui viendrait à la trucider.

Code pénal de 1810 – Source : Gallica

Quoi qu’il en soit, le débat allait rapidement être clos. La Restauration rétablit le catholicisme comme religion d’État et, sous l’influence des ultra-royalistes, le divorce est purement et simplement supprimé avec la loi Bonald de 1816. Il faudra désormais attendre 1884 et la loi Naquet pour qu’il fasse son retour, timidement puisqu’il sera admis seulement pour faute. Le divorce par consentement mutuel, lui, ne sera pas rétabli avant 1975.

Le créneau historique ouvert à la fin du XVIIIe siècle pour divorcer sans complication fut donc particulièrement court puisqu’il ne dura que douze ans, avant que le code Napoléon ne complique sérieusement les choses puis qu’une chape de plomb ne retombe pour longtemps sur les couples mal assortis. C’est dans cette fenêtre providentielle que se place l’histoire d’aujourd’hui.

Thérèse et Joseph se marient puis divorcent…

Comme le veulent les stratégies matrimoniales, Joseph Foulcher Delbosc et Thérèse Yéche ont, selon la formule consacrée, des situations en rapport. Lui est établi comme médecin à la suite de son père, dans une famille qui se répartit équitablement entre cette profession et les métiers du droit. Quant à Thérèse, elle est fille d’avocat, justement. On reste donc entre soi.

Albi et le domaine familial de l’Algayrié – Fond de carte : Gallica

Ils se marient le 5 février 1797 à Bezacoul, la commune du Tarn dont dépend le château de l’Algayrié appartenant à la famille Delbosc. Thérèse est originaire d’Albi, à vingt-cinq kilomètres, et c’est là que huit mois et demi plus tard, elle donne naissance à un petit Louis.

Que se passe-t-il dans le couple ? Visiblement Thérèse garde ses habitudes à Albi alors que Joseph vit plutôt dans sa campagne. Le 15 juin 1801, les deux époux adressent à leurs proches une convocation à se réunir, deux mois plus tard, pour prendre acte de leur désaccord. C’est la première des étapes prévues par la loi sur le chemin du divorce par consentement mutuel.

Acte de divorce du 9 février 1802 – Source : Archives départementales du Tarn

Effectivement, le jour dit, l’assemblée des parents se réunit dans la maison commune de Bezacoul et l’agent municipal dresse l’acte de non conciliation, signé par le couple et chacun des participants.

Se sont-ils ensuite accordé le temps de la réflexion ? Toujours est-il qu’ils laissent quasiment s’écouler le délai butoir de six mois avant de se présenter à nouveau en mairie pour faire dresser leur acte de divorce, alors que deux mois auraient suffi.

Finalement, le 9 février 1802, le divorce est prononcé par François Cés, l’adjoint au maire de Bezacoul. Il ne pouvait en être autrement, le maire n’étant autre… que le divorcé lui-même.

On dégotte beaucoup de choses dans les archives… et aussi tant d’interrogations qui peinent à trouver leur réponse ! Comment comprendre ce divorce dans une famille de notables probablement attachée aux sacrements religieux ? Dans ce jeune couple marié depuis à peine cinq ans et qui a rapidement eu un enfant ? Alors que visiblement, aucun des deux protagonistes n’a le projet de se lancer dans une autre union ?

En effet, Thérèse ne se remariera pas. Quant à Joseph, il attendra encore vingt-sept ans pour, un beau matin d’avril 1829, épouser Rose Pujol qui a trente-quatre ans de moins que lui. Elle apporte dans la corbeille de noces une petite fille qui vient d’avoir un an et dont Joseph se reconnaît le père. Puis un mois après le mariage, vient au monde un garçon, et encore deux enfants en 1831 et 1838.

… et le mystère s’épaissit !

Adeline Delbosc est la nièce de Joseph, la fille de son frère Léon. Elle réalise sa broderie de perles et l’offre à sa tante Madame Delbosc, née Thérèse Yéche le 25 août 1829. Quelle curieuse chronologie ! Le divorce a été prononcé neuf ans avant la naissance de la jeune brodeuse ; et au moment du cadeau, son oncle vient de se remarier avec Rose Pujol depuis quatre mois.

Je me perds en conjectures sur les raisons qui, presque trois décennies plus tard, ont visiblement permis à Thérèse Yéche, malgré le divorce, de maintenir une position au sein de la famille Foulcher Delbosc. Il est pour le moins atypique que même une enfant née neuf ans après la séparation ait gardé des liens affectifs avec l’ex-femme de son oncle. Car Adeline la considère effectivement comme sa tante –ce qu’elle n’a finalement jamais été- et ne se prive pas de lui envoyer du Madame Delbosc long comme le bras.

Je soupçonne un message pas très plaisant adressé par la bande à Rose qui rencontra peut-être quelques difficultés pour se faire une place dans sa belle-famille : une fille de cultivateur chez ces notables bien en vue, qui plus est une jeunette épousée avec un enfant déjà né et enceinte jusqu’aux dents le jour de ses noces… Les réunions de famille au château de l’Algayrié ne devaient pas toujours être une partie de plaisir pour elle !

Cependant quel que soit le contexte, Joseph Delbosc ne négligea nullement cette seconde union. Les quatre enfants qui en résultèrent furent tous établis en position avantageuse y compris, Cécile, sa fille bâtarde reconnue tardivement au mariage.

Le château de l’Algayrié quelques décennies plus tard – Archives départementales de la Haute-Garonne

Le moment venu, elle fut mariée à un ingénieur, directeur des Mines, et sa petite sœur Angéline au propriétaire d’un beau domaine agricole. Quant aux deux garçons, ils firent leur vie professionnelle dans la droite ligne de la tradition Foulcher Delbosc : Hippolyte devint médecin à la suite de son père ; et Isidore, notaire comme son oncle, prit la charge d’une étude à Brassac pendant quatre décennies.

Et voilà comment une innocente broderie vient jeter un petit caillou sur l’eau lisse des archives publiques et remettre en perspective ce que nous racontent les actes. Il faudrait maintenant creuser l’affaire, ne pas se contenter des registres en ligne, aller faire rendre gorge aux minutes des notaires. Mais le Tarn est à l’autre bout de la France et je n’ai aucune recherche familiale à mener par là-bas.

Qui sait, un jour, si une de mes balades me mène dans les environs d’Albi la rouge…


Je vous rappelle que si vous voulez suivre le parcours de vie d’Adeline et admirer son ouvrage plus en détail,
c’est ici, dans l’article publié aujourd’hui sur Ouvrages de Dames.

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