Ça fait 122 ans aujourd’hui. Le 6 juin 1899 mourait à Nancy mon ancêtre, Joseph Marie Nicolas Rottée. A Nancy, vraiment ? Drôle de point de chute pour cet Isarien pur jus, comme toute ma branche de ce côté-là… Que diable allait-il faire dans cette Lorraine ?
Jusqu’à quarante ans, il mène avec Armenthe Arthémise François une vie dont rien ne paraît devoir compromettre la stabilité. Il a 22 ans lorsqu’ils se marient en 1858, et elle tout juste 17. Pendant les vingt ans de leur vie commune, ils garderont tous les deux le métier exercé au moment de leur mariage, elle blanchisseuse et lui peintre en bâtiment.
Tout au plus, après la naissance de leur deuxième enfant, glisseront-ils d’une dizaine de kilomètres le long de l’Oise : vers 1865, ils quittent Pont-Sainte-Maxence, leur ville natale, pour venir s’établir à Creil.
Carte du département de l’Oise – Source : Gallica
Mais en 1877, tout s’effondre pour la famille ; Armenthe meurt à 36 ans. Joseph reste seul avec trois enfants mineurs ; Alix, l’aîné qui est aussi mon ancêtre, n’est pas loin d’atteindre dix-huit ans et va bientôt se marier ; mais les filles sont petites encore : Jeanne a neuf ans et Georgette seulement trois.
C’est peut-être une des raisons qui incite Joseph à se remarier. En 1880, au lendemain de son quarante-quatrième anniversaire, il épouse Flore Mollet, une couturière de presque vingt ans sa cadette. C’est elle qui quitte l’Aisne et sa famille pour venir s’installer à Creil, dans la maison même où Joseph vivait auparavant avec Armenthe. Il exerce toujours le métier de peintre ; si peu de choses paraissent avoir changé pour lui…
Les années passent à Creil, les enfants quittent assez tôt la maison et finalement, une quinzaine d’années plus tard, voilà que le couple part s’installer à Chauny, la ville d’origine de Flore. Mais surtout, Joseph change radicalement d’activité professionnelle. Après plus de trois décennies à travailler dans le bâtiment, il se convertit sur le tard au métier de marchand forain qu’exerce déjà son beau-frère, Frédéric Mollet.
Ils ont travaillé ensemble, bien sûr. En tout cas, en 1899, ils avalent tous les deux les trois-cents kilomètres qui les séparent de Nancy pour aller déballer à la grande foire qui anime les printemps de la ville depuis le Moyen Âge.
Cette année-là, la manifestation a lieu du 20 mai au 10 juin. Elle frappe particulièrement les esprits parce que pour la première fois, elle est baignée de lumière grâce à l’électricité.
« Une surprise était réservée aux nombreux visiteurs de la foire. Dans la journée de samedi, un certain nombre d’appareils d’éclairage électrique à grande puissance ont été placés le long de la grande allée du cours Léopold. (…) Plusieurs grands établissements forains ont également installé l’éclairage électrique, et ce avec une profusion qui leur donne, le soir, un aspect réellement féérique. La foire de Nancy n’aura jamais été aussi belle que cette année. » (L’Est Républicain du 21 mai 1899)
Tout se conjugue pour l’enchantement des visiteurs. Le cirque Plège fait salle comble avec « la voltige infernale et échevelée de Miss Marguerite » , l’alliance franco-russe balade les visiteurs dans de superbes gondoles à vapeur, la « vache phénomène vivante » retient toutes les attentions avec ses deux queues et ses cinq pattes…
Que s’est-il passé dans les lumières de la fête ? Joseph va avoir soixante-trois ans mais pour lui, la ville lorraine sera le bout du chemin. Le 6 juin 1899, Frédéric se présente en mairie pour déclarer la mort de son beau-frère, survenue « à cinq heures du matin, cours Léopold, sur le champ de foire ». Loin de chez lui, loin de Flore…
Décès de Joseph Rottée – Archives municipales de Nancy 4 E 259
Je ne sais pas pourquoi Joseph a tardivement bifurqué vers le métier de marchand forain auquel est si fort liée sa mort. Et comme les archives de l’Aisne sont très lacunaires pour le XIXème siècle, il y a peu de chances que je trouve la réponse à cette question…
14 commentaires sur “6 juin 1899 {Joseph}”
Merci pour ce nouveau billet très intéressant, comme c’est triste de mourir loin de ceux qu’on aime… tant de mystères subsistent au fur et à mesure qu’on se penche sur le passé… et c’est si difficile, souvent, de nous mettre à leur place pour imaginer ce qu’a été leur vie… car, comme tu le soulignes, les trois actes ne sont que peu de choses par rapport à la richesse de tous les évènements, heureux ou pas, qui peuvent jalonner une vie…
Belle journée, bises
Et oui… Par exemple là, s’il n’était pas mort sur la foire, je ne saurais même pas qu’il l’a fréquentée. Avant celle-ci, combien se sont bien passé et lui ont apporté de la satisfaction ? Ou pas… Si ça se trouve, il a ramé dans son métier et parvenait difficilement à survivre. Pfff… on en revient toujours là : on n’en sait rien. Essayer de retracer leur vie en s’en tenant à une esquisse à partir d’éléments factuels, c’est vraiment un exercice de claquettes.
Nous nous posons toujours de nombreuses questions sur le parcours de nos ancêtres.Encore une belle histoire un peu triste tout de même .Bonne soirée
Je me dis souvent que nous avons une vision très déformée de la vie de nos ancêtres, d’abord parce que nous l’appréhendons principalement par les « trois actes » et donc forcément que nous en surévaluons l’issue qui est la mort. Ensuite parce que bien qu’essayant de nous en garder, nous avons un regard biaisé par notre façon de vivre au XXIème siècle, si clément par rapport au leur. Comment restituer les moments de joie qu’ils ont connus, les périodes de félicité qu’ils ont traversées sans tomber dans la surinterprétation et l’angélisme ? C’est le casse-tête…
Passionnant ce billet ! Une fin de vie bien mystérieuse… Et triste, si loin des siens !
On aimerait tant mieux connaître le passé… Mais plus on cherche, plus les questions s’amoncellent… un peu comme en sciences ou en philosophie…
Merci aussi pour ce partage Sylvaine !
C’est exactement ça : Plus on cherche, plus on trouve… et plus le mystère s’épaissit !
Une belle tranche de vie pour ton ancètre. Tu as pu le suivre dans ces déplacements sans savoir pourquoi le destin a décidé que sa vie s’arrête ce jour-là sur cette foire… Tu racontes toujours aussi bien
bises
violine
Merci 😉 Bises à toi, ma chère Violine.
Qui sait ma chère Sylvaine? La mort qui récolte son dû un beau jour, une certaine année, un certain âge, nous laissant perplexes sur ses raisons qu’elle décide de bien garder pour elle et qui ne sont pas de notre monde….quant aux marchands forains, Dieu sait s’ils m’en ont fait voir de toutes les couleurs mes braves marchands ambulants de bouteilles, de vannerie, de poteries et de chapeaux, sillonnant les routes de France et de Navarre (en passant beaucoup par la Suisse LOL) de père en fils sur une durée de 200 ans. Un véritable écheveau pour mes recherches qui deviennent microscopiques tant ils sont élusifs et passent souvent, à mon grand dam, à travers les filets de l’état-civil. Moi aussi, le mystère de mes gentils colporteurs restera sans doute entier. xxx bises
Je compatis. D’ailleurs heureusement que c’était mentionné dans le contrat de mariage de mon arrière-grand-père, sinon je n’aurais jamais eu l’idée d’aller chercher son décès à Nancy. Et aussi qu’il a été globalement assez stable sur la majeure partie de sa vie… J’imagine le casse-tête que ça doit être pour les filles et fils du vent, et qui le sont sur plusieurs générations !
une bien belle page d’histoire familiale et beaucoup de questions sans réponses bonne recherche belle journée bises
Merci 🙂 C’est toujours comme ça dès qu’on sort un peu des trois actes et qu’on essaie de comprendre leur vie… mais c’est tellement intéressant !
Bonjour Sylvaine
Une reconversion tardive, peut être du, au fait qu’il ne pouvait plus être peintre en bâtiment et que son beau frère, lui a proposé de faire le même métier que lui. Comme il avait changé de région, et n’ayant plus ses repères, il s’est laissé convaincre par son beau frère. Mais cela n’est qu’hypothèse et tu ne le sauras peut être jamais . Bon Dimanche ensoleillé. Gros bisous.
Hello 😉 Oui, j’ai un cousin peintre qui a dû se reconvertir à cause de problèmes de santé, par exemple. En fait dès qu’on s’intéresse d’un peu près au parcours de nos ancêtres, on a forcément toujours plus de questions que de réponses !