Une particule si désirable {5}

Augustin est mort depuis longtemps et il n’a pas laissé de descendance pour perpétuer le beau nom à rallonge qu’il a fait tant d’effort pour obtenir. J’ai donc pu m’amuser sans arrière-pensée avec mon enquête généalogique, et surtout la publier sans craindre d’embarrasser qui que ce soit.

Le lointain cousin que je me suis découvert à cette occasion reste une touchante énigme. Voilà un homme qui a certainement dû batailler pour amener sa vie là où il le voulait, qui a surmonté des deuils personnels avec cet enfant mort à la naissance et sa femme disparue prématurément, qui s’est construit une carrière de juge et d’auteur faisant autorité dans son domaine alors que rien ne l’y prédestinait et qui a même fini par décrocher sa légion d’honneur. Et malgré tout, sa soif de reconnaissance le pousse encore à se perdre dans cette quête dérisoire de particule, prêt à toutes les entourloupes pour parvenir à ses fins.

Augustin est l’illustration parfaite d’un paradoxe que je ressens souvent au cours de mes recherches : les archives ne sont pas avares à son sujet, j’ai l’impression qu’elles me permettent de le tracer tout au long de sa vie… Pourtant je ne sais rien de lui et l’homme reste un mystère. Heureusement ?

Ma perplexité s’étend à sa mort, qui le fait encore sortir de l’ordinaire.

La fin tragique d’Augustin

Augustin a atteint l’apogée de sa carrière avec une  nomination au Palais de justice de Paris où il est installé depuis quatre ans. Il est sur le point d’avoir soixante ans lorsque le 2 août 1914, le tocsin sonne sur la France ; il a donc largement passé l’âge d’être mobilisé.

Pourtant, alors que rien ne l’y oblige, il se porte volontaire pour monter au combat et rejoint le premier régiment d’artillerie à pied comme officier, puisqu’il a été nommé capitaine dans la réserve en 1898. Et si l’on en croit sa citation à titre posthume, il ne part pas à la guerre pour faire de la figuration.

Officier de complément ayant repris du service à l’âge de 60 ans, s’est toujours signalé par son activité et son intrépidité. Le 31 août 1915, sa batterie étant en butte à un bombardement intense, a fait abriter tout son personnel et, resté seul à son poste d’observation, y a trouvé une mort héroïque en dirigeant le tir de ses pièces.

C’est encore en salle de lecture, cette fois-ci à Paris, que j’ai pu consulter sa succession pour m’assurer qu’il ne laissait pas d’enfant. Et effectivement il lègue une maison à Songeons à sa gouvernante et le reste de ce qu’il possède va par moitié à Sylvanie et Faustin, ses sœur et frère.

Si je passe un jour par Notre-Dame-de-Lorette, je m’arrêterai sur la sépulture 4129 pour raconter un peu à Augustin toutes les recherches dans lesquelles il m’a entraînée, avec sa lubie… et l’en remercier, car ce genre de fouinage est le sel de la quête généalogique.

Je pourrai aussi lui glisser dans le creux de l’oreille qu’il a bien mérité de la noblesse après laquelle il a tant couru et qu’il peut en jouir en paix, là où il est désormais.

Et si la salle de lecture n’était pas vraiment indispensable ?

Cette question a un petit air de provocation… mais pas tant que ça, finalement. Archives judiciaires, dispenses de mariage, deux sources que je ne pouvais consulter qu’en salle de lecture.

Sauf que…

J’ai raconté mes recherches de manière linéaire et en les organisant autour d’un récit cohérent mais les généalogistes savent bien que dans la vraie vie, ça ne se passe jamais comme ça : nos enquêtes sont faites de pistes, vraies ou fausses, confirmées ou éliminées les unes après les autres, de découragement et de bouffées d’enthousiasme, d’allers et retours, de doutes et d’espoirs, de tournage en rond, bref… c’est le bazar !

Et ce n’est qu’après avoir eu en main le jugement complet récupéré en salle de lecture que je me suis avisée d’aller vérifier toutes les transcriptions ordonnées par les juges, et pas seulement la première version sur laquelle j’étais tombée un peu par hasard, un condensé assez nonchalamment reporté dans les registres de Douai où Augustin s’était marié.

Jugement dans les registres d’Hétomesnil – AD Oise 3E314/16
Jugement dans les registres d’Hécourt – AD Oise 3E306/13

Je n’ai pas trouvé davantage de sérieux dans les registres de Senantes, où la transcription est encore plus lapidaire qu’à Douai. En revanche, aussi bien à Hécourt qu’à Hétomesnil, il s’est trouvé deux secrétaires de mairie assez consciencieux pour s’appuyer la recopie du jugement dans ses moindres détails, y compris avec ses attendus et son précieux tableau généalogique.

Et comme ce sont des registres d’état civil… c’est en ligne !

Salle de lecture : O / Ressources en ligne : 1 ?

Il reste la dispense de mariage. La mise en ligne des instruments de recherche se généralise mais l’Oise était pas mal en avance sur le sujet et nous a proposé très tôt deux inventaires fort précis listant plus de 13 000 couples. Suffisamment pour susciter ma convoitise quand j’en ai repéré deux ou trois qui pouvaient m’intéresser. Mais la salle de lecture était à l’époque indispensable pour aller plus loin et mettre la main sur ces fichues dispenses.

Sauf que…

Depuis l’Oise a mis les dispenses de mariage en ligne, si bien que là où j’ai dû me déplacer il y a quelques années, aujourd’hui je n’aurais aucun problème pour les consulter directement depuis mon canapé.

Dispense de consanguinité d’Anne et de François – Archives départementales de l’Oise G3437

Salle de lecture : O / Ressources en ligne : 2 ?

Sauf que…

Je n’en finirais pas de lister toutes les pépites découvertes au cours des vacances passées dans des salles de lecture lointaines.

C’est là que j’ai surpris le patriarche respecté de la famille Lenoir la main dans la caisse de l’octroi avant qu’il ne devienne un notable de la ville, là que je me suis glissée dans la maison d’Estelle pour écouter chanter ses deux serins en cage, là que j’ai fait mes emplettes dans l’épicerie de Juliette entre le savon Congo et les paquets de tripoli, là encore que j’ai localisé le restaurant des pommes sautées de mon arrière-grand-mère Georgette, là que j’ai enfin avancé sur la disparition de mon ancêtre anglais, là que j’ai retrouvé la maison aux chrysanthèmes… Fonds de la Préfecture, successions, matrices cadastrales, hypothèques, minutes des notaires, presse ancienne trop récente pour être en ligne, archives judiciaires… il y a de tout ça quand on consulte les archives physiques, et je n’ai quasiment pas encore abordé l’ancien Régime !

La plongée physique dans ces vieux papiers poussiéreux (le nombre de fois où on se lave les mains !) est irremplaçable pour sa puissance d’évocation et nous met tant d’images en tête…

D’ailleurs les salles de lectures ne sont pas que départementales, les archives municipales aussi regorgent de trésors : les registres du consistoire protestant, les archives fiscales pour tracer les commerces, les signatures de mon conseiller municipal dans le registre des délibérations, les permissions de voirie, la saga des élections, l’exemplaire original de l’état civil qui révèle parfois de sacrées surprises ou comble des lacunes…

Et que dire des Archives nationales avec les déchirants dossiers de résistants des boulangers de mes grands-parents, la naturalisation de ce très lointain cousin qui m’en apprend tant sur mes racines anglaises, la magie enfin qu’il y a à se retrouver dans l’impressionnante salle de lecture du Caran ?

Les mises en ligne ont beau s’intensifier et constituer un vrai luxe pour nos recherches, elles ne peuvent nous offrir les kilomètres d’archives à notre disposition sur place. En réalité, le match ressources en ligne / salle de lecture n’en est pas un, tant elles sont complémentaires.

Les ressources en ligne constituent un luxe extraordinaire pour débroussailler notre arbre et, au fur et à mesure que les numérisations progressent, pour aller beaucoup plus loin et le nourrir. Elles offrent des possibilités de recherche puissantes : je n’imagine pas, même en fréquentant assidûment la BnF, pouvoir y faire le quart de la moitié des découvertes permises par Gallica dans la presse.

De plus il faudrait se cantonner à un élitisme bien désagréable pour faire semblant d’ignorer que tout le monde n’a pas la chance de pouvoir se déplacer. Et même quand on en a la possibilité d’habitude, ces derniers mois d’enfermement sanitaire nous ont appris à chérir tout ce qu’on peut trouver, bien installée derrière un écran d’ordinateur, et les riches échanges qui restent malgré tout possibles.

Ressources en ligne + salle de lecture = la combinaison gagnante !

Et maintenant ?

Et bien maintenant je me retrouve à faire une généalogie en snobant l’état civil, moi qui ne jure que par les actes. C’est un comble !

Je ne m’investirai évidemment pas davantage dans la famille le Noir de Tourteauville qui n’est plus la mienne, n’en déplaise aux juges. Mais tout de même, ça m’amuserait de trouver l’acte de sépulture de François Paul. Et si j’en ai l’occasion, j’irai jeter un coup d’œil à la succession de son père pour prendre connaissance de l’état de la famille à son décès, en 1709. Voilà qui me permettrait de refermer bien gentiment ce dossier-là.

L’essentiel de ma recherche pour cette branche va maintenant se concentrer sur les origines d’Anne Tribout et de François Le Noir, en partant sur des bases assainies. Je mise beaucoup sur les dispenses de mariage, justement, car il n’est pas si simple de localiser les Dizambourg.

Mais si c’était simple, est-ce que ça nous amuserait autant ?

Série de billets écrits dans le cadre du Mois Geneatech, thème de la 3ème semaine :
« Une découverte que vous n’auriez pas pu faire sans vous rendre aux archives »

Épisode {1} Le cousin Augustin
Épisode {2} La famille le Noir de Tourteauville
Épisode {3} Le jugement
Épisode {4} La dispense de mariage

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