U comme Undertaker

S’il y a bien un personnage qui croise en permanence l’histoire de nos gens mais sur lequel on braque rarement les projecteurs, c’est le croque-mort qui les accompagne au cimetière. Mais à La Nouvelle-Orléans, où rien ne se fait comme ailleurs, il a quand même droit à sa part de lumière.

Bien sûr les familles sont fidèles à leur entrepreneur de pompes funèbres ; les Anglo-américains ont les leurs, les Créoles ont les leurs, on ne se mélange pas trop sur ce sujet-là… non plus ! La famille Lombard a pris ses habitudes aux pompes funèbres de St Ann street, ce qui n’est pas tellement étonnant au regard des adresses respectives des deux commerces : la mercerie au 71 et le croque-mort au 43, à peine cent mètres les séparent.

Et puis la maison Bonnot est connue traditionnellement pour enterrer les Français, ça tombe bien. Elle a commencé avec la première génération, Jean, car oui, il y eut des parents spirituels au XIXe siècle aussi. En voilà un qui a certainement été heureux, en arrivant en Louisiane, de pouvoir changer son prénom pour prendre celui de John.

C’est un Bourguignon pur jus, né à Châlons-sur-Saône en 1810. Resté orphelin très jeune, il trouve refuge à La Nouvelle-Orléans chez un de ses oncles. À vingt ans, il embauche chez H. Dubuc, à l’époque le seul undertaker pour toute la ville. Il finit par reprendre la maison à son compte lorsqu’elle périclite et poursuivra son activité jusqu’à sa mort, en 1890.

Décès d’Amanda Lombard le 24 décembre 1893 – Source : FamilySearch

À la génération suivante, c’est son fils Raoul qui s’occupe des funérailles d’Amanda, la première des quatre sœurs Lombard à partir en 1893. On voit avec son acte de décès que les écritures illisibles sont un problème universel car oui, il est bien écrit Raoul Bonnot an undertaker. Je dois dire que ce rédacteur-là est mon pire cauchemar quand je tombe sur ses registres, et il en a beaucoup à son actif.

Un intéressant personnage que ce Raoul Bonnot…

Gumbo ya ya, A Collection of Louisiana Folk Tales  – Source : Internet Archive

M. Raoul Bonnot fut pendant des années le populaire Croque-Mort -entrepreneur de pompes funèbres- des Créoles. M. Bonnot était vraiment un personnage dans le Vieux Carré, apparaissant toujours dans de formels pantalons Prince Albert à rayures grises, des chaussures à talons hauts et un haut-de-forme de soie. Son postiche était partagé par une raie médiane et ramené en frange sur son front. Son expression était toujours si lugubre que les Créoles disaient de lui avec sympathie: «Il a une figure de circonstance». Il devait cependant y avoir une certaine dose de secrète frivolité sous les dehors moroses de M. Bonnot. Des personnes bien informées affirmaient que ses sous-vêtements étaient ornés de rubans.

Imaginer le croque-mort dans ses dessous affriolants, ça change la vision du cortège funèbre :-)) Au moins autant que les second lines !

Richard T. Pranke – Bourbon street second line

Mais faut-il croire toutes les rumeurs du Vieux Carré colportées par le gumbo ya ya de Lyle Saxon… c’est une autre histoire.

Il semble tout de même que Raoul ait eu ses petites coquetteries, puisqu’il était bien connu aussi pour le diamant à cent-vingt-cinq dollars qu’il portait en épingle de cravate.

The daily Picayune du 13 mars 1902 – Source : Newsbank

Un bijou ostentatoire qui excitait bien sûr les convoitises mais il ne se laissa pas faire, le jour où des voleurs essayèrent de le lui subtiliser dans la voiture publique : le croque-mort avait du répondant !

Depuis le milieu du XIXe, ce sont donc trois générations de Bonnot qui font de la publicité pour leur entreprise de pompes funèbres de St Ann street.

Publicités en 1889 et 1908 – Source : Newspaper by Ancestry

Trois générations d’undertakers qui conduisent les funérailles des Français et des Créoles de la Nouvelle-Orléans et qui, auparavant, se chargent des formalités administratives.

Les actes de décès américains au XIXème siècle

Nous nous plaignons souvent de ne pas avoir la chance des généalogistes américains qui savent, grâce aux actes de décès, de quoi sont morts leurs gens. Ce n’est pas possible en France puisque précisément, la réglementation proscrit formellement de mentionner quoi que ce soit à ce sujet.

Manuel-formulaire de l’officier de l’état civil, 1897 – Gallica

Aux États-Unis où cette interdiction n’existe pas, la cause du décès commence à être reportée dans les actes en 1870, puis la rubrique est directement intégrée au formulaire en 1877. La personne chargée de l’état civil reporte dans l’acte les raisons du décès telles qu’elles ont été indiquées, dans son certificat, par le médecin ayant constaté la mort. Bien qu’elles soient parfois assez générales et difficiles à interpréter, il peut être intéressant de savoir, par exemple, que tel ancêtre est décédé des suites de la fièvre jaune. Ça permet ainsi de replacer sa mort dans le contexte des épidémies qui frappaient régulièrement La Nouvelle-Orléans.

Causes des décès relevées dans mes actes – Source : FamilySearch

Mais cette information supplémentaire se paye au prix de filiations imprécises ou inexistantes, de l’effacement de leur nom de famille pour les femmes mariées, d’absence d’adresses dans certains cas, au point qu’il n’est pas rare d’avoir du mal à s’assurer de l’identité d’une personne sur la seule base de son acte de décès. Paradoxalement, au XIXe siècle, il peut arriver qu’on y trouve plus d’information sur le déclarant que sur la personne décédée elle-même.

Et à l’inverse, on en vient à regretter la précision codifiée de nos actes de décès français, mise en place dès le début du XIXe siècle et très rapidement généralisée.

Les avis de décès dans la presse.

Cependant on peut très souvent compléter les informations qui manquent dans les actes par les avis de décès, diffusés dans la presse beaucoup plus systématiquement qu’en France. On les trouve très régulièrement, même au XIXe siècle , et ils apportent généralement des précisions bienvenues qui permettent notamment d’identifier formellement les personnes.

Acte et avis de décès de Louisa Lombard en 1939 – Source : FamilySearch et Newsbank

Par exemple, avec Louisa, la troisième des quatre sœurs dont la mort est pourtant assez récente : seul le lieu de sa mort figure dans l’acte de décès et au demeurant, son âge est erroné puisqu’en réalité, elle a quatre-vingt-douze ans et non pas soixante-dix-neuf. Il n’y a aucune filiation ni date de naissance. Comme l’adresse où elle est décédée n’est pas sa résidence habituelle et que je l’ai identifiée très tardivement comme étant celle de son cousin, je serais restée dans l’incertitude avec la seule concordance nom/prénom, sans l’avis de décès paru dans la presse : beloved sister of Delia m’a permis de lever les doutes.

Les avis de décès ont aussi le gros intérêt de faire le tour des conjoints et descendants vivants au moment du décès. C’est très pratique en généalogie descendante lorsqu’on se cherche des cousinages. Imaginez le nombre de pistes que j’ai désormais à suivre avec cet obituary de Franck, un des fils de Louis Lombard.

Avis de décès de Franck Lombard – Source : Newsbank

La Bibliothèque Publique de La Nouvelle-Orléans propose en ligne un outil de recherche très pratique pour savoir si un décès a fait l’objet d’un avis publié dans la presse. Si c’est le cas, il donne des indications fort précises pour le localiser dans le journal concerné.

Les sépultures

Les cimetières de La Nouvelle-Orléans sont le dernier lieu pouvant contenir des informations de nature à compléter les actes de décès. Il me semble qu’on a plus d’opportunités qu’en France d’y trouver des tombes du XIXe siècle. Les cimetières catholiques de la Nouvelle-Orléans poursuivent d’ailleurs un ambitieux projet de restauration des sépultures abandonnées.

Le plus ancien cimetière subsistant aujourd’hui est St. Louis #1, créé à la fin du XVIIIe siècle, après l’incendie du premier lieu d’inhumation de la ville. La partie qui a été maintenue, très réduite par rapport au site initial, se trouve à la limite du centre historique. Il a été suivi par St. Louis #2, consacré en 1823 dans une zone à l’époque moins urbanisée de la ville, avec l’idée de réduire le risque de propagation des épidémies. La dernière extension du cimetière, St. Louis #3, a enfin été ouverte en 1854 à trois kilomètres à l’ouest du Vieux Carré.

Cimetière St. Louis #1

En collaboration avec d’autres institutions impliquées dans la préservation de l’histoire locale, The Historic New Orleans Collection suit un projet de longue haleine qui consiste à compiler des données anciennes et récentes sur les cimetières historiques de La Nouvelle-Orléans. Il couvre St. Louis mais également, à terme, sept autres lieux comme par exemple Lafayette ou Cypress Grove. C’est grâce à cette initiative qu’ont été conservées des informations relevées en 1981 sur la tombe de Marie Anne Duraind, l’épouse de George Lombard, et qui sont les seules dont je dispose actuellement concernant son nom de famille et son décès.

Sépulture de Marie Anne Duraind – Source : The New Orleans cemetery database

Grâce à l’évolution moderne du projet, une cartographie des tombes se met progressivement en place et permet de localiser précisément l’endroit où se trouve la sépulture qui vous intéresse.

J’ai gardé pour la fin la ressource la plus précieuse dans ce domaine, le site contributif Find a Grave qui est une mine d’information sur les cimetières en général et couvre très généreusement les États-Unis en particulier. Elle est aussi la plus connue, c’est pourquoi je ne m’étendrai pas à son sujet, sauf pour une petite action de propagande : quand vous avez la chance d’y trouver un de vos émigrants, n’hésitez pas à contribuer en y déposant un acte français comme je l’ai fait par exemple ici pour Etienne Grapin qui cautionna le marriage bond d’Émilie Lombard. Ça ne prend que quelques secondes et je ne doute pas que ce soit très apprécié par nos cousines et nos cousins américains.

Femmes décorant des tombes à la Toussaint – Source : The Historic New Orleans Collection

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