P comme Plans Sanborn

L’incendie est donc l’une des principales calamités qui frappaient la Nouvelle-Orléans aux XVIIIe et XIXe siècles. Certains ont particulièrement marqué l’histoire de la ville, par leur étendue -comme en 1788, 1794 ou 1892- ou parce qu’ils ont atteint des bâtiments emblématiques, comme le St Charles Hotel anéanti à deux reprises, en 1851 et 1894.

Au détour des recherches sur mes gens, il m’arrive aussi de tomber sur le feu comme au restaurant de Jules Perrisin, touché un mois avant le mariage d’Émilie, ou encore le théâtre Faranta détruit aux portes mêmes de la mercerie de St Ann Street.

L’assurance contre l’incendie est donc au cœur des préoccupations ; quand elle relate une catastrophe, la presse ne manque jamais de faire un point précis des dégâts et de la capacité des propriétaires à être couverts de leurs pertes… ou pas selon leur niveau d’imprévision. Ainsi lors de l’incendie qui a touché, en septembre 1857, l’Union Restaurant de Jules Perrissin :

Times Picayune du 5 septembre 1857 – Source : NewsBank

C’est ce qu’on appelle un mal pour un bien car le feu fournit aux généalogistes une formidable ressource pour localiser et mieux connaître les habitations de leurs ancêtres en Amérique. La méthode que je vous indique ici n’est pas limitée à La Nouvelle-Orléans et est reproductible pour beaucoup de villes des États-Unis.

Sandborn et ses plans

Les premiers plans connus d’assurance incendie cartographient le centre de Londres sur la dernière décennie du XVIIIe siècle. Leur principe est de fournir aux compagnies d’assurance des informations précises, sur une propriété en particulier, pour leur permettre d’évaluer le risque et d’ajuster le montant des primes en conséquence.

Ce type de plans se généralise aux États-Unis à l’initiative de Daniel Alfred Sanborn, ingénieur civil et géomètre américain. En 1866, il est engagé par la compagnie d’assurance Aetna pour réaliser des cartes détaillées sur la région du Tennessee puis sur la ville de Boston. Devant l’abondance de la demande, il pressent un marché lucratif et crée à New York sa propre société qui va couvrir progressivement les États-Unis, le Mexique et le Canada. Sa mort en 1883 n’interrompt pas le développement de la Sanborn Map and Publishing Company qui deviendra l’entreprise de cartographie la plus réputée et la plus prospère du pays. En 1920, au plus fort de son activité et en situation de quasi monopole, elle emploie jusqu’à sept-cents personnes, évidemment en majorité des géomètres et des cartographes.

Cartouche du volume 2 de 1885 – Source : Bibliothèque du Congrès

Les plans Sanborn ont fait l’objet de mises à jour régulières, ce qui permet de suivre l’évolution d’un bâtiment à travers le temps. Même si les publications ne sont pas aussi fréquentes, les géomètres peuvent passer jusqu’à deux fois par an sur les zones urbaines en fort développement.

Pour la Louisiane, et plus particulièrement La Nouvelle-Orléans, les premiers plans que j’ai trouvés en ligne remontent à 1876.

Où trouver les plans ?

Les plans Sanborn sont généralement détenus localement par les bibliothèques publiques municipales et universitaires. Chaque institution peut éventuellement avoir mis en ligne tout ou partie de sa collection. Cependant, s’agissant d’initiatives locales, la couverture, la qualité de publication et les possibilités de téléchargement peuvent être très inégales.

Selon l’endroit où se situent vos recherches, vous pouvez aussi avoir la chance de trouver des ressources en ligne sur la David Rumsey Map Collection, qui offre un téléchargement de très belle qualité.

Mais la ressource majeure dans ce domaine est, comme souvent aux États-Unis, la Bibliothèque du Congrès qui publie en ligne plus de 35 000 volumes sur les presque 51 000 qu’elle détient dans ses archives au titre du copyright.

La page des ressources générales est ici. La collection concernant La Nouvelle-Orléans comprend trente-deux volumes qui couvrent la ville jusqu’en 1950.

Mon conseil est de commencer par la Bibliothèque du Congrès, qui est facile à manier et offre une qualité de téléchargement irréprochable, mais de ne pas pour autant dédaigner les propositions locales. Pour La Nouvelle-Orléans par exemple, je n’ai rien trouvé dans la collection Rumsey mais la Bibliothèque Digitale de la Tulane University propose deux volumes de 1876 couvrant le Vieux-Carré, dans lesquels j’ai eu la chance de trouver la mercerie St Ann Street. Le bâtiment lui-même n’a pas nécessité de mise à jour entre 1876 et 1885 ; en revanche, j’ai trouvé dans son environnement proche d’intéressantes modifications dont je vous parlerai bientôt.

Comment chercher à l’intérieur des volumes ?

Les trente-deux volumes de La Nouvelle-Orléans couvrent chacun une partie de la ville. Quand on part à la recherche d’une adresse, il faut donc dans un premier temps identifier le ou les volumes successifs susceptibles de contenir cette adresse.

Prenons l’exemple de mon bâtiment situé 71 St Ann Street Il y a deux manières de s’y prendre pour localiser la feuille où son îlot sera représenté.

Plan sommaire du volume 1 de 1885 – Source : Bibliothèque du Congrès

La première double page de chaque volume contient généralement un plan sommaire de la zone qui y est cartographiée. Si vous avez le plan de votre ville bien en tête, vous repèrerez très rapidement si cette zone correspond à votre recherche ; il suffit alors de noter le numéro de la page à laquelle vous devez vous rendre pour le bloc qui vous intéresse. C’est même encore plus facile si vous connaissez le numéro de l’îlot recherché : je vous expliquerai comment le récupérer.

C’est maintenant mon mode d’accès préféré car il est très rapide mais bien sûr, ça reste aléatoire dans une ville où l’on n’est pas encore trop à l’aise. Une méthode sure est donc de se rendre en fin de volume, à l’index des rues. Un petit truc : pour vous déplacer plus aisément dans le recueil, pensez à jongler entre les modes de visualisation qui se trouvent dans la liste déroulante en haut à droite. Je trouve que les plus intéressants sont single image et grid.

Index du volume 1 de 1885 – Source – Bibliothèque du Congrès

Évidemment, il est très facile de vérifier dans cet index si la rue recherchée figure dans la liste classée par ordre alphabétique et, avec les numéros, si c’est sa partie qui vous intéresse. À La Nouvelle-Orléans, comme j’imagine dans les autres villes américaines, beaucoup de voies sont interminables et peuvent traverser l’agglomération de part en part ; une même rue a donc beaucoup de probabilité de se trouver dans de nombreux volumes différents. en fonction de sa hauteur.

Je contrôle rapidement que ma rue St Ann ne figure pas dans l’index du volume 1, je passe à la vérification dans le volume 2 et ainsi de suite. Dans mon cas c’est assez rapide car je la trouve effectivement dans ce deuxième volume.

Ici c’est un bon exemple : l’astérisque signifie que seul un côté de la rue est montré sur la feuille indiquée, les numéros pairs sont sur la feuille 42 et les numéros impairs sur la 43.

St Ann Street à l’index du volume 2 de 1885 – Source – Bibliothèque du Congrès

Dans mon cas, comme je cherche le numéro 71, je dois me rendre sur la feuille 44. C’est en réalité une double page traversée par la reliure, le numéro de feuille figure en haut à droite de la page de droite et ne peut évidemment pas être corrélé avec le numéro de vue dans la visionneuse, c’est pourquoi les visualisations en list ou en gallery ne sont pas très intéressantes.

La feuille 44 se trouve sur les vues 31 et 32, il manque un mode de visualisation qui permettrait de voir les deux côtés d’une feuille d’un seul regard. C’est d’autant plus dommage que le nom de la rue ne figure souvent que sur une seule des deux feuilles, il faut donc jongler de l’une à l’autre mais on s’habitue vite au système.

Quoi qu’il en soit, il est probable que lorsque vous aurez repéré la feuille qui vous intéresse, vous voudrez la télécharger : l’outil pour le faire se trouve en bas à gauche sous la visionneuse, vous n’avez plus qu’à choisir votre format en fonction de la qualité d’image désirée.

Comment interpréter les plans ?

Que permet de faire le plan du 71 St Ann Street ? Il permet de s’orienter et de situer avec précision notre bâtiment pour le localiser dans son environnement actuel, je vous en reparlerai.

Il permet surtout de glaner de précieuses informations sur la configuration du bâtiment lui-même puisque les géomètres compilaient les éléments qui pouvaient influer sur le risque incendie. Mais pour ça, il faut se pencher un peu sur la légende de leurs cartes. Elle se trouve en début de volume, sur la double page du plan sommaire.

Volume 2 de 1885 – Source – Bibliothèque du Congrès

Vous trouverez également des éléments plus complets qui résultent d’une compilation de légendes proposée par la Bibliothèque du Congrès ici.

J’avoue que pas mal d’entre eux me restent assez hermétiques, avec la double barrière des techniques de construction que je ne maîtrise pas et celle de la langue… que je ne maîtrise pas non plus. Que signifie précisément brick special, brick special with frame side (je penche pour la fameuse technique des briquettes-entre-poteaux mais je n’oserais l’affirmer) ou frame building, not a special ? Frame building, c’est une construction à ossature bois, mais not a special ? J’imagine que si j’avais besoin de le savoir, je finirai par trouver une spécialiste du bâtiment pour me l’expliquer.

Malgré tout, beaucoup d’éléments restent exploitables, comme le montre l’exemple de la mercerie et de son voisin, le forgeron Mangin.

Le plan présente, pour la partie donnant sur rue, un immeuble de deux étages divisé dans la longueur en deux unités, chacune accueillant une boutique dont on déduit logiquement qu’elle se situe en rez-de-chaussée. Chaque unité dispose de sa cuisine détachée en fond de cour, à laquelle elle est reliée par un passage central. Dans l’arrière-cour, sont figurées en jaune des structures de bois qui doivent représenter des remises et probablement des galeries proches de celles qu’on distingue sur ces photos prises dans le Vieux-Carré au début du siècle.

Arrière-cours dans le Quartier Français – Source : Bibliothèque du Congrès

Ces plans détaillés sont une mine en eux-mêmes mais croisés avec d’autres sources, ils permettent de cerner au plus près la maison à laquelle vous vous intéressez. Nous verrons demain que lorsque l’immeuble a été mis en vente, l’annonce indiquait qu’il comprenait une remise, une citerne, une allée, des éléments que nous situons bien sur le plan Sanborn. Et comme elle précisait aussi un métrage global de la parcelle, il devient même possible d’approcher les superficies des différentes parties en limitant les risques d’erreur.

J’adorerais avoir l’équivalent des plans Sanborn en France, pas vous ?

Vers l’article suivant Q comme Quatre sœurs

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