Les cartes de sûreté à Paris

Patatras ! Je remontais bien tranquillement ma branche paternelle dans l’Oise avec mes cheminots basés à Creil lorsqu’à la lecture de son acte de décès, je découvre que notre ancêtre Marceline Villemagne est née à Paris, en novembre 1800.

Décès de Marceline VILLEMAGNE à Creil le 28 décembre 1886 – Archives départementales de l’Oise 3E175/37

Paris et sa malédiction

En généalogie, partir vers la capitale annonce rarement un périple de tout repos puisque les deux exemplaires de l’état civil antérieur à 1860 ont été détruits dans les incendies de mai 1871. Dans les mois qui ont suivi la répression de la Commune, les autorités lancèrent auprès des familles parisiennes une grande campagne de reconstitution des actes partis en fumée. On les incita à se présenter avec leurs archives privées : actes religieux, documents des notaires, papiers militaires, etc. On estime à environ un tiers les actes qui furent ainsi rétablis par la commission de reconstitution sur ces bases disparates.

Évidemment, plus on recule dans le temps en s’éloignant de 1860, plus l’espoir de trouver une reconstitution s’amenuise : les familles raisonnaient rarement en généalogistes et avaient plutôt tendance à faire rétablir les documents dont elles avaient un usage immédiat. Alors l’acte de naissance de la bisaïeule morte depuis des décennies, c’était un peu le cadet de leurs soucis.

Dans un premier temps, tout se passe bien pour ma recherche : suite à la mort de son cheminot de mari, Marceline voit son acte de naissance reconstitué en 1873 à l’initiative de la Compagnie des chemins de fer du Nord, probablement pour compléter son dossier de pension de réversion. J’apprends ainsi que son père, Jean Marie Villemagne, exerçait la profession de rubanier, qu’il s’est marié avec Anne Collet en 1785 à la paroisse Sainte-Marguerite, et qu’en Brumaire de l’an IX, le couple habitait 39, rue de Popincourt.

Naissance de Marceline VILLEMAGNE à Paris le 9 Brumaire an IX – Archives de Paris 5MI1 112

J’apprends même précisément, par l’acte de mariage de Marceline en 1826 à Charenton, que son père est mort dans le 6ème arrondissement le 20 août 1806 et que sa mère, toujours en vie, habite désormais rue des Tournelles Saint-Antoine.

Mais à partir de là … plus rien ! Le mariage de 1785 à Sainte-Marguerite n’a pas été reconstitué, pas davantage que le décès de Jean Marie en 1806. Déveine à laquelle s’ajoute une petite anomalie : je ne trouve pas trace de cette mort dans les tables des décès, où elle devrait pourtant être consignée.

Un registre salvateur

Heureusement, le vent de la chance tourne avec une source originale et surtout, avec l’aide d’un fin connaisseur des archives parisiennes. C’est en effet grâce à lui que je peux accéder aux cartes de sûreté en usage dans la capitale pendant la période de la Révolution.

Collection générale des loix, proclamations, instructions, et autres actes du pouvoir exécutif. Tome 11 – Gallica

Le 19 septembre 1792, l’assemblée nationale vote une loi imposant à tout citoyen présent dans la capitale depuis plus de huit jours de se faire enregistrer auprès de la section dont relève son domicile. On lui remet en échange une carte civique à son nom mentionnant au recto son identité et son domicile, et au verso les caractéristiques physiques de son signalement.

Et c’est une obligation qu’il ne faut pas prendre à la légère : le défaut de carte peut être puni de trois mois de prison, les fausses déclarations ou les fausses cartes de six mois.

Dans les années qui suivent, différents décrets imposent périodiquement le retrait et le renouvellement des cartes de sûreté, notamment en 1793 et en 1795.

Enregistrement des cartes de sûreté pour la rue Saint-Sébastien – Archives nationales F/7/4803

C’est à l’occasion d’un de ces renouvellements qu’à l’hiver 1794, Jean Marie Villemagne se présente au comité de surveillance de la section Popincourt, accompagné des témoins réglementaires. Il y décline son identité, son adresse, l’époque de son arrivée à Paris, ses précédents domiciles dans la capitale et finalement sa profession ; il prend ainsi rang, sous le numéro 158, dans la liste des citoyens habitant rue Saint-Sébastien.

JM Villemagne dans le registre des cartes de sûreté de Popincourt, page de gauche – Archives nationales F/7/4803
JM Villemagne dans le registre des cartes de sûreté de Popincourt, page de droite – Archives nationales F/7/4803

Je n’ai pas de doutes sur l’identité de mon citoyen : les prénoms, le nom, la profession, la proximité des lieux de résidence… tout coïncide avec ce que je sais déjà de lui. Et divine surprise : Jean Marie déclare être originaire de Saint Chamond en Lyonnais, dans le département de la Loire. Je devrais donc y retrouver sa naissance quelques quarante-trois ans plus tôt.

Cerises sur le gâteau, j’y apprends également qu’il mesure 5 pieds et 3 pouces, qu’il est arrivé dans la capitale depuis 15 ans venant directement de son Saint-Chamond natal, qu’il habite sur la section Popincourt depuis 7 ans, qu’auparavant il vivait dans le quartier Saint-Antoine, et aussi que le couple a un enfant : des renseignements précieux en cette époque de sources réduites où, notamment, nous ne disposons pas des recensements périodiques pour tracer la vie de nos ancêtres.

Finalement Paris mène à tout… à condition de s’en échapper !

L’ancêtre des cartes d’identité

Les cartes de sûreté ont évidemment été éparpillées dans la nature entre les mains des citoyens parisiens ; seuls subsistent aujourd’hui dans les archives publiques les registres dans lesquels ont été consignés les renseignements fournis pour les établir.

Mais au détour d’un musée, ou en furetant sur Gallica, on a parfois la chance de tomber sur un exemplaire de cette fameuse carte qu’ont dû avoir sur eux tous nos ancêtres masculins parisiens à l’époque révolutionnaire.

Carte de sûreté délivrée en l’an II par la Commune de Montmartre – Musée Carnavalet

Et il arrive que l’une d’elle soit restée coincée dans un registre, éternellement en attente de son destinataire. Celle-ci, qui dort entre les pages du registre de la section Popincourt, me donne une bonne idée du document délivré à Jean Marie.

Carte de sûreté restée dans le registre de la section Popincourt – Archives nationales F/7/4803

Les cartes de sûreté perdurent sous cette forme encore quelques années puis disparaissent avec l’instauration du Consulat.

Aurez-vous, vous aussi, la chance de parvenir à réduire une épine généalogique grâce à ces registres de la période révolutionnaire ? Certains ont également été détruits dans les incendies de 1871, principalement ceux qui concernent l’ouest de la capitale. Mais il en subsiste tout de même pour une trentaine de sections, ce qui reste une bonne proportion sur les quarante-huit qui quadrillaient Paris.

Alors pourquoi pas ? Vous saurez si les sections susceptibles de vous intéresser ont leurs registres préservés en consultant l’instrument de recherche mis en ligne par les Archives nationales. Ils sont communicables sur le site de Pierrefitte-sur-Seine et sont en voie de numérisation et d’indexation via Geneanet.

Une anecdote inattendue

Les archives du Comité de sûreté générale contiennent également une grande partie d’affaires individuelles, tout simplement classées par ordre alphabétique. C’est là que mon fouineur a eu l’idée d’aller prospecter pour me faire la surprise d’une pépite supplémentaire.

Dénonciation de Villemagne par la section de la Réunion à la section Popincourt – Archives nationales F/7/4775/47

Citoyens
Nous croyons devoir vous prévenir que le citoyen Villemagne dmt (demeurant) rue St Sébastien n°13, membre de votre section a prêté sa carte de sûreté à un nommé Robert pour soit disant aller au devant de sa femme ; et comme les ennemis du bien public se servent souvent de ce prétexte pour anéantir notre liberté, nous croyons devoir inviter nos frères du comité révolutionnaire à le faire venir à leur comité à l’effet par eux de s’instruire quel est la raison qui a porté le dit Villemagne à prêter sa carte au nommé Robert, qui réside maintenant sur notre section, dans le bâtiment des ci devant carmélites.
Au comité révolutionnaire de la dite section ce 30 avril 1793, l’an 2 de la République une et indivisible.

Y-a-t-il document plus parlant pour entrer de plain-pied dans le quotidien de nos ancêtres ? La carte de sûreté était impérative, le nommé Robert n’avait pas la sienne (pourquoi ?), il fallait bien le dépanner… le citoyen Villemagne l’a fait en lui refilant la sienne.

Cependant, ce qui reste de l’affaire se résume à cet unique feuillet formant enveloppe, qui ne permet pas d’entrevoir la suite réservée à cette malencontreuse dénonciation. Aucune, puis-je espérer pour Jean Marie et je me rassure en me disant que si elle avait donné lieu à une sanction, on en trouverait la trace dans cette liasse. Mais si l’explication devant le Comité révolutionnaire de Popincourt a finalement eu lieu, j’avoue que j’aimerais assez être une petite souris, par-delà le temps…

Et maintenant ?

Bien sûr, j’ai retrouvé notre Jean Marie Villemagne à Saint-Chamond. De manière quasi inespérée, j’ai ainsi pu continuer l’histoire de cette branche en inscrivant une nouvelle région à mon tableau de chasse généalogique. Et j’ai même encore du grain à moudre sur Paris puisqu’il déclare un enfant en 1794. Or pour le moment, à part Marceline, je ne connaissais au couple qu’un autre bébé, mort quelques semaines après sa naissance en décembre 1798, alors qu’il avait été expédié en nourrice dans l’Yonne. Il y a donc encore à creuser du côté de cette fratrie.

Mais il ne faut pas se leurrer ; la Révolution a beau être passée par là, elle n’a toujours pas inventé le masculin générique : citoyen ne veut pas dire citoyenne et les femmes, n’ayant ni les droits ni les obligations des hommes, restent bien transparentes dans les archives. Pour elles, entre autres, pas de carte de sûreté.

Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826). « Club Patriotique de Femmes ». Gouache sur carton découpé collé sur une feuille de papier lavée de bleu. Paris, musée Carnavalet.

Je suis donc bloquée du côté d’Anne Collet, la mère de Marceline. J’ai bien identifié une presque homonyme, Anne Colet, morte en 1849 rue Meslay donc plus ou moins dans mon secteur de recherche ; mais son acte de décès reconstitué, laconique à l’extrême, ne mentionne que son nom et l’indication de cette adresse. Rien ne me permet de la rapprocher avec un peu de sérieux de la mienne ; quand bien même, je n’en tirerais aucun élément supplémentaire sur sa filiation. La paroisse n’a pas trace de son acte de sépulture. Et son inscription retrouvée dans la table des décès ne m’est d’aucun secours puisqu’elle n’a rien laissé ; je ne peux donc pas compter sur une succession et les notaires pour tenter un éventuel rapprochement.

Voilà une branche qui menace d’être victime de la malédiction parisienne… jusqu’au jour où je trouverai, peut-être, une autre source miraculeuse ?

Billet écrit dans le cadre du Mois Geneatech, thème de la 1ère semaine de février :
« Présentez une source peu ou pas connue »

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