S comme… la cousette du Soldat

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Il y a fort longtemps qu’en farfouillant dans les tiroirs de la machine à coudre de ma mère, j’étais tombée sur ce curieux objet touché par mon père dans son paquetage de soldat quand il était parti faire son service militaire à Trèves, en 1955. Comme c’était un objet dédié à la couture, ma mère l’avait rangé avec ses affaires dans la lingerie et l’avait oublié là.

Cousette du soldat

Je l’avais trouvé amusant et je l’avais donc confisqué mais je ne m’y étais pas arrêtée plus que ça avant de commencer à collectionner la mercerie ancienne. C’est en prenant l’habitude, sur les brocantes, de fouiller systématiquement les vieilles boîtes à couture que j’ai commencé à accumuler ces sortes de bobines et à m’y intéresser de plus près.

Car oui, les apparences sont trompeuses surtout quand on le dégotte vide, ce truc n’est pas une cuillère à miel ;-)) Ce n’est pas toujours évident à déceler au premier regard mais il se dévisse en trois parties et révèle alors à sa base un logement pour ranger les aiguilles et au milieu une alène… pour percer des trous supplémentaires à la ceinture du pauvre soldat amaigri ?

Quant à la partie supérieure, elle est compartimentée généralement en quatre segments qui servent à stocker des fils de lin de différentes couleurs, comme on le voit sur celle de mon père, revenue au bercail à peine entamée. Si elle ne l’a pas perdu, ce qui est le plus souvent le cas, la tige retient également un dé coupé de tailleur.

C’est donc l’outil multifonction par excellence. On le trouve généralement sous la désignation de cousette du poilu, ce qui est encore une appellation trompeuse. Car si le mot de cousette est tout à fait approprié, en revanche l’armée française en a doté ses soldats bien après la première guerre mondiale. En témoigne bien sûr celle de Pierre mais aussi, encore plus tardivement, cette trousse ramenée par un soldat de la classe 69-2C (merci Marie ;-)) et qui contient elle aussi la fameuse bobine.

On peut donc imaginer que cette cousette a été distribuée quasiment jusqu’à la disparition du service militaire à la fin du XXe siècle, en tout cas à coup sûr à un moment où on n’employait plus, depuis bien longtemps, le terme de poilus pour désigner les soldats français.

À l’autre bout de l’échelle du temps, il est également possible de remonter bien avant la première guerre mondiale.

Mon arrière-grand-père Georges Harrisson, né en 1869, fut donc appelé avec la classe 1889. Son livret militaire témoigne qu’on lui remit un képi, un pantalon, une veste, une paire de souliers des guêtres et une cravate mais aussi, en novembre 1890, une bobine en bois renfermant six aiguilles et une alène emmanchée. Ce n’est pas celle-là qui est posée sur son livret pour la photo, car malheureusement je n’ai sauvé aucun objet de ce côté-là. J’ai choisi pour l’illustrer une des cousettes de ma collection qui me semble être parmi les plus anciennes.

Il est possible de remonter avec certitude encore auparavant grâce à un de ces mouchoirs d’instruction conçus pour inculquer, en images, les bases de l’art militaire à des conscrits qui étaient loin d’être tous alphabétisés. À partir de 1874, la manufacture rouennaise déclina ces mouchoirs caractéristiques en treize thèmes pour l’armée française. Un bel éclectisme qui va du démontage-remontage du fusil Chassepot modèle 1866 jusqu’aux ponts militaires et au passage des rivières, en ne négligeant pas les secours aux blessés et l’hygiène.

Celui qui nous intéresse est le numéro 8 qui décortique le placement des effets pour les revues de détail dans les chambres d’après les dernières instructions ministérielles de 1884. Sur le bel exemplaire détenu par la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, on devine notre bobine même si elle est partiellement amputée par un pli. Je l’ai ajoutée en détail sur l’image à partir d’un autre exemplaire du mouchoir : aucun doute n’est possible, il s’agit bien, déjà, de la cousette remise à mon père en 1955.

Évidemment, on peut gager que l’outil ne venait pas d’apparaître soudainement en 1884 ; probablement existait-il déjà au moment de la guerre de 1870, voire même avant mais pour ma part, je n’en ai pas de traces formelles. Dans ce livret militaire perdu au milieu de l’état civil reconstitué de la ville de Paris et qui concerne un soldat du 42ème régiment de ligne enrôlé en 1848, on trouve bien une alène emmanchée parmi la liste des effets. S’agit-il déjà d’une ancêtre de notre cousette ?

Une telle longévité dans le temps est une des explications à la diversité des modèles sous lesquels on trouve cet objet. Il est à la fois répandu puisqu’il a équipé tous les troufions de l’armée française pendant au moins un siècle, et mal connu parce que dans sa banalité même, il a été soit égaré soit enfoui au retour dans les boîtes à couture des femmes où il n’a guère trouvé son usage.

Cependant quand on se met en tête de le collecter, on est surprise par les variations de notre cousette dans sa taille mais aussi dans les galbes du tournage et dans la composition même de ses éléments. Sur cette photo où j’ai placé une partie de ma collection, on remarque notamment la différence de volume entre la cousette de gauche, probablement la plus ancienne, et celle de mon père posée juste à côté qui mesure un peu moins de quatorze centimètres au total.

La partie supérieure destinée à recevoir le fil est segmentée en trois compartiments pour les plus anciennes, en quatre très majoritairement mais parfois en deux pour quelques farfelues. Il y a même une originale, la troisième en partant de la gauche, qui présente au-dessus de l’alène un tronçon droit pour bien caler le dé tronqué.

Tous ces jolis objets sont tournés en buis sauf celle qui se trouve à droite, travaillée dans un bois blanc très ordinaire. Je suppose qu’elle est dans les toutes dernières à avoir été produites.

Une autre explication à cette diversité m’a été suggérée par un féru de la vie des troupes pendant les guerres napoléoniennes, rencontré sur un salon de broderie. On en voit, de ces choses, sur les salons de broderie ! Il avait monté son bivouac entre nos tables, passait la journée en uniforme scrupuleusement reconstitué, et campait la nuit sur sa paillasse de zouave pour veiller sur nos tables d’exposantes. Il était passionnant et, accessoirement, occupait bien les compagnons de ces dames qui ne voyaient pas le temps passer en jouant au petit soldat ;-)) C’est lui qui m’avait dit que cette fameuse cousette de gauche, d’un gabarit si particulier, pouvait bien remonter assez avant dans le XIXe siècle.

Il m’avait expliqué que les conscrits étaient comptables des effets remis par l’armée et devaient rendre leur paquetage au complet quand ils étaient libérés. Or comme ils pouvaient rester plusieurs années en service, il leur arrivait bien sûr d’en perdre certains éléments. Heureusement les vivandières attachées aux troupes étaient là pour leur sauver la mise en leur vendant, outre la nourriture et les produits de première nécessité, les petits objets de la vie quotidienne qui venaient à leur manquer. Ce système d’approvisionnement parallèle pouvait donc expliquer la coexistence, à côté du modèle strictement réglementaire, de versions un peu différentes de la cousette.

La vivandière Française est la providence du soldat ! Gallica

Et pour terminer, voici une carte postale qui date des années 30. Passons sur l’humour (?) militaire, ce qui est intéressant, c’est la trousse renfermant tout le nécessaire pour entretenir l’uniforme et réparer les petits accidents. Elle contient bien sûr, en vedette, la cousette du soldat qui lui est décidément indispensable !

Vous avez des pistes supplémentaires, ou des sources sur cet objet ? Je suis preneuse !

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