G comme les deux George Frédéric

Jean Baptiste et Charlotte m’ont fait un coup dont nos ancêtres sont coutumiers mais cette fois-ci, ils ont vraiment poussé le bouchon trop loin. Donner le même prénom à deux enfants successifs, voilà qui a fini de nous étonner depuis bien longtemps, surtout quand le premier a perdu la vie avant la naissance du second. Mais là ? Sérieusement ?

Il faut dire que tout s’est conjugué pour favoriser le malentendu, jusqu’aux archives du Doubs qui mettent si peu d’entrain à nous offrir en ligne l’état civil du département.

Un George Frédéric chasse l’autre ?

Avant de passer aux choses sérieuses, la toute première étape de mon enquête fut bien sûr de ratisser l’état civil pour structurer la ligne de vie du couple formé par Charlotte Perret et Jean Baptiste Lombard. Première difficulté : l’état civil du Doubs n’était pas du tout en ligne à l’époque et ne l’est que très partiellement depuis. Je me rends donc sur place à plusieurs reprises mais la recherche est bien sûr beaucoup moins fluide avec la distance… et la manipulation des lecteurs de microfilms. Bientôt on aura presque oublié ce petit bonheur-là !

Seconde difficulté : mes recherches se situent sur plusieurs villages, ce qui alourdit ma prospection quand j’ai la chance de pouvoir me déplacer à Besançon et bloquer une journée en salle de lecture.

Et last but not least (il faut vous y faire, on va forcément parler un tout petit peu anglais), le recensement de 1831 n’est pas disponible pour les villages qui m’intéressent.

Naissance de George Frédéric Lombard le 26 mars 1809 à Seloncourt – Source : Archives départementales du Doubs 5Mi145

Cependant après cette mise en jambes, j’ai tout de même récolté une jolie brassée d’actes pour mon couple. J’ai notamment dans ma besace la naissance de deux de ses enfants, deux George Frédéric à sept ans d’écart, et plus aucun signe de vie du premier après sa venue au monde. Bien que n’ayant pas encore mis la main sur son décès, je fais l’hypothèse qu’il est mort en bas âge, ce qui explique à la fois sa disparition des archives et la réattribution de son double prénom à un petit frère posthume. Je mets ce point dans les vérifications à effectuer pour un prochain déplacement dans le Doubs mais à dire vrai, mon opinion est faite.

Grosse erreur !

Naissance de George Frédéric Lombard le 5 février 1816 à Audincourt – Source : Archives départementales du Doubs

Car en continuant mon enquête de l’autre côté de l’Atlantique, je me trouve face à des incohérences assez inexplicables, au point que je me demande si mon George Frédéric, parti sur l’océan avec toute sa famille en 1849, ne mène pas une double vie. À ce moment de l’histoire, vous savez déjà que mon hypothèse de départ était fausse et qu’il faut toujours privilégier la réalité la moins rocambolesque : le premier George Frédéric était toujours en vie et avait disparu très jeune de l’autre côté de l’Atlantique. Au bout du compte, le départ du reste de la famille, vingt ans plus tard, prenait de furieux airs de regroupement familial.

Bref, même si dans le cas présent ils avaient eu a main lourde en répétant carrément un double prénom pour leurs deux enfants bien en vie, j’étais seulement en présence de parents qui n’avaient pas vu l’intérêt de faire preuve d’originalité pour baptiser leurs rejetons. Ils ont tout de même tendu un méchant piège aux généalogistes du futur et d’ailleurs, les arbres américains font toujours la confusion en unissant les deux frères en une seule personne.

On l’a déjà dit, qu’il faut se méfier des déductions hasardeuses et que l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence ?

Au demeurant, leur vie se croisant à nouveau, les deux George Frédéric résolvent leur problème de façon très pragmatique : l’ainé choisit de s’appeler George et le cadet Frédéric, ce que je ferai pour la suite du récit.

L’enfance des deux frères

Tout commence par une enfance dans le pays de Montbéliard, où les familles bougent souvent d’un bourg à l’autre au gré des affectations du père dans les usines Japy. Chaque déménagement est à peine un saut de puce entre villages voisins avec toutefois un changement de département quand on se retrouve à Beaucourt, ce qui met un peu de piment dans la recherche généalogique.

George naît en 1809 à Seloncourt où ses parents se sont mariés deux ans auparavant. Frédéric verra le jour sept ans plus tard à Audincourt.

Carte des 3 villages – Source du fond de carte : Gallica

Ensemble, les deux petits garçons de onze et cinq ans affrontent la perte de leur mère, Charlotte, morte des suites d’un accouchement difficile, puis celle de leur petit frère tout neuf qui la suivra de près dans la tombe. C’est encore ensemble que George et Frédéric assistent à Beaucourt, deux ans plus tard, au remariage de leur père avec Catherine Sircoulomb et accueillent une nouvelle petite sœur en 1825.

George, Frédéric, Émélie : voici constituée la fratrie qui nous occupe tout ce mois de novembre. Je n’oublie pas l’aînée, Catherine née trois mois après le mariage de ses parents, et d’autant moins qu’elle est mon ancêtre. Mais comme elle est la seule à être restée de ce côté-ci de l’Atlantique, je n’aurai plus l’occasion de l’évoquer dans l’aventure louisianaise.

George en Amérique

George, l’aîné des deux frères, est saisi très jeune par l’envie d’embrasser de nouveaux horizons. La seule date qui est fixée avec certitude dans son parcours vers l’Amérique est l’année 1834, celle où naît sa première fille de l’autre côté de l’Atlantique. Je place donc son départ à la fin des années 1820 ou au tout début de la décennie suivante, alors qu’il avait plus ou moins vingt ans.

Se cache-t-il derrière ce G. Lombard de vingt-huit ans qui se serait vieilli pour monter à bord du Venus et débarquer à La Nouvelle-Orléans au printemps 1826 ? Mais il est peu probable qu’il ait pu dans ce cas soutenir l’avantageux statut de marchand inscrit  sur le manifeste de bord et faire les frais d’un voyage en cabine.

Manifeste du Venus – Source : FamilySearch

Ou a-t-il plus de chances d’être cet énigmatique Lombard sans prénom qui, en 1832, fait la traversée du Havre en Louisiane dans l’entrepont du Bolivar ?

Manifeste du Bolivar – Source : Ancestry

Peut-être… Peut-être pas… Le manque de précision des documents de bord est notre ennemi, surtout quand il s’agit d’identifier des voyageurs isolés.

Pour le moment, la seule archive sur laquelle je peux m’appuyer pour cerner le début de son aventure américaine est un recensement de 1850 à La Nouvelle-Orléans. Il y vit alors avec son épouse Marianne, son aînée Adèle, née en Pennsylvanie en 1834, et les quatre enfants nés après elle, tous en Louisiane entre 1837 et 1848 : Charles, Frédéric (qui choisira par moment de porter son second prénom d’Achille), Hermione, Eulalie et Anatole.

La famille de George au recensement de 1850 à La Nouvelle-Orléans – Source : FamilySearch

Bien que Marie Anne soit ici notée comme étant originaire de France, le lieu de naissance qui lui sera attribué en 1902 sur l’acte de décès de son fils Frédéric Achille est Philadelphie. Comme de plus son nom de famille, Duraind, ne se retrouve pas dans le pays de Montbéliard, je peux supposer que George a rencontré sa femme en Pennsylvanie après avoir voyagé seul depuis le Havre. Mais ce n’est à ce stade qu’une hypothèse. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la toute jeune famille a commencé son parcours dans cet État avant de gagner la Louisiane.

George est ingénieur, une profession qu’il exercera avec constance pendant plusieurs décennies, comme en témoignent les annuaires de La Nouvelle-Orléans. Il est spécialisé dans les moteurs à vapeur, une technologie qui se développe fortement dans l’environnement de la révolution industrielle.

Frédéric en Franche-Comté

Pendant que son grand frère part découvrir le vaste monde, Frédéric suit la même voie que son père et entre chez Japy pour y travailler le métal. On le trouvera tour à tour ouvrier sur métaux, ajusteur ou encore serrurier.

En 1838, il épouse Annette Bouteiller, comme lui ouvrière sur métaux. Il suit ses parents dans la voie du mariage motivé par une naissance imminente : Émilie vient au monde cinq mois après la noce. Elle est suivie par Émile en 1843 et Louisa en 1847.

Le hameau de Berne à Seloncourt vers 1836

Entretemps, Frédéric a rejoint comme son père la fabrique de Berne nouvellement reprise par Japy à Seloncourt. Il y a progressé en devenant chef d’atelier.

Vingt ans après, réunis à La Nouvelle-Orléans

Tout ce que ne nous disent pas les archives… Les lettres reçues de George pendant ces deux décennies, les rêves d’Amérique forgés dans le secret des cœurs puis petit à petit partagés en famille, la déchirure de la séparation et le besoin de se revoir, les hésitations à lâcher pour l’inconnu une vie bien installée dans ses ornières, la responsabilité qui pèse à entraîner les petits dans un projet un peu fou…

Mais ce qui tire est plus fort que ce qui freine et un beau jour, on se retrouve à poser le pied sur un quai de La Nouvelle-Orléans, à chercher au milieu de la foule le frère perdu depuis si longtemps, à le trouver, à ne pas savoir quoi lui dire, à ne rien dire et à le serrer dans ses bras.

On découvre les enfants des uns et des autres, les petits Français et les petits Américains s’observent à distance en attendant de se découvrir une complicité de cousinage, les belles-sœurs échangent quelques mots un peu empruntés, Jean Baptiste observe en silence son petit monde tenter les premières approches et ses deux garçons se retrouver comme si ces vingt dernières années étaient soudain abolies.

Tout ce que nous disent les archives… Le premier évènement familial qui survient en Louisiane lève les doutes sur les liens renoués avec George : il signe comme témoin au mariage de sa sœur Émélie, célébré à La Nouvelle-Orléans le 29 janvier 1850, trois mois après l’arrivée de la famille.

Signature de George au mariage d’Émélie – Source : FamilySearch

Six mois après, l’agent recenseur passe dans toutes les maisons de la ville pour faire son office. Le recensement de 1850 ne mentionne pas encore les adresses des habitants mais ce qui est sûr, c’est que les familles de George et de Frédéric sont quasiment voisines puisqu’elles sont inscrites à dix numéros d’écart, dans les maisons 1410 et 1420. Juste une page à tourner dans la liasse…

Jean Baptiste, leur père, ne se trouve probablement pas très loin mais je vous en reparlerai plus en détail le jour du W.

George est ingénieur et Frédéric mécanicien. Compte tenu de sa spécialisation dans le domaine des machines à vapeur, il est plus que probable qu’il aura facilité pour son frère l’accès à une nouvelle vie professionnelle en Amérique.

L’aîné a déjà une bonne partie de sa vie faite de ce côté-ci de l’Océan, il n’est donc pas étonnant qu’il puisse détenir un capital immobilier de 4 000 dollars. En revanche, il est plus surprenant que Frédéric en affiche un à hauteur de 3 000 dollars, alors que la famille est arrivée depuis moins d’un an. C’est ce qui me donne à penser que les Lombard n’ont pas quitté leur Franche-Comté poussés par la misère extrême, même s’il est probable que cette somme constitue les économies d’une vie

Recensement de 1850 – Source : FamilySearch

Et la vie suit son cours, juste déplacée à huit-mille kilomètres de son point de départ ; le 4 décembre 1850, un peu plus d’un an après leur arrivée en Louisiane, Annette met au monde le petit Charles, quatrième enfant du couple et premier à naître en terre américaine.

C’est cette naissance qui permet de localiser la famille sur le plan de La Nouvelle-Orléans puisqu’en venant la déclarer, Frédéric indique habiter Orleans Street, entre Tonti et Miro Streets. Et comme deux ans plus tard, l’annuaire de la ville placera George sur Tonti Street, à côté de St Peter Street, nous avons bien la confirmation de la proximité des deux frères. Ils seront d’ailleurs rejoints, début 1851, par leur sœur Émélie qui emménage aussi sur Tonti Street, juste deux îlots plus loin, entre St Ann et Dumaine Streets.

Les trois enfants de Jean Baptiste en 1850-51 – Source du fond de carte : Bibliothèque du Congrès

Après vingt années de séparation, les liens se sont donc naturellement retissés entre les enfants de Jean Baptiste pour constituer un réseau qui a uni jusqu’à leurs descendants, comme en témoigne un dernier épisode : en 1939, neuf décennies plus tard, Louisa, la toute petite fille de Frédéric embarquée à deux ans sur le Cromwell, quittera la vie chez Anatole, un petit-fils de George.

Mais c’est avancer trop vite dans le récit. Car après Charles en 1850, trois nouveaux enfants arrivent encore au foyer d’Annette et Frédéric : Louis en 1854, Amanda en 1855 et Délia en 1860. Au bout du compte, Annette aura mis au monde sept enfants en vingt-et-un ans si bien que l’aînée du couple, Émilie, se marie en 1857, trois ans avant la naissance de sa dernière petite sœur.

Encore des mystères à élucider

1860 et la naissance de Délia, sa cadette, est d’ailleurs la dernière date qui jalonne la vie de Frédéric ; car je n’ai pas retrouvé son acte de décès, soit qu’il n’ait pas été établi, soit qu’il se cache encore derrière une indexation à venir (édit : du nouveau sur ce décès le jour du O comme Oh ! Surprise ! : Frédéric est mort le 2 septembre 1862). Ce qui est sûr, c’est qu’en 1872, Annette apparaît désormais comme sa veuve dans l’annuaire de La Nouvelle-Orléans.

Edwards’ New Orleans directory for 1872 – Source : FamilySearch

De son côté, George continue à travailler comme ingénieur et est même à l’origine d’une véritable petite dynastie, puisqu’il exercera ensuite avec son fils Achille, qui lui-même repassera le flambeau à son fils Anatole. Mais ça aussi, c’est pour un prochain récit.

Et c’est encore lui, le frère l’aîné, qui fait preuve d’originalité et d’esprit aventureux.

En 1863, il perd sa femme, Marie Anne, dont la seule trace du décès est inscrite sur une pierre tombale subsistant sur un vieux mur du cimetière Saint Louis #2.

Tombe de Marie Anne Éléonore Duraind – Source : Find a Grave

Le parcours de George l’entraînera ensuite assez mystérieusement jusqu’au Mexique où il meurt le 14 septembre 1897, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Difficile de recoller les morceaux pour comprendre ce qui l’a amené là : j’ai bien un George Lombard qui revient de Vera Cruz vers La Nouvelle-Orléans sur le Margaret, en 1870. Il est identifié au manifeste du bateau comme planteur, s’est-il lancé sur le tard dans la canne à sucre ? Pourtant dans les années 1880, il figure toujours à l’annuaire de La Nouvelle-Orléans comme ingénieur, travaillant de concert avec son fils Achille. Peut-être a-t-il gardé un pied dans les deux activités qui peuvent être complémentaires, comme on le verra bientôt, puisque les machines à vapeur sont couramment employées dans l’extraction et la raffinerie du sucre de canne.

Décès de George à Xalapa, Mexique – Source : FamilySearch

Oui mais… sur son acte de décès mexicain, il est dit charpentier, ce qui est parfaitement  saugrenu au regard de son parcours de vie. Heureusement l’abondance de détails sur sa naissance, sa filiation et son mariage ne laisse pas de place au doute : c’est bien lui, l’enfant de Franche-Comté, qui termine sa vie à Xalapa, à une centaine de kilomètres au nord de Vera Cruz, après être passé par la Pennsylvanie et la Louisiane.

Deux frères dont les parcours se croisent, s’éloignent, se recroisent et s’entrecroisent, si différents et si liés, il fallait bien une ligne de vie pour s’y retrouver !

Vers l’article suivant H comme Hourra ! Vive la mariée !

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